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Une boutique à Paris sous le second Empire

La boutique de lingère de Nana

Brusquement, en deux jours, tout fut terminé, les peintures vernies, le papier collé, les saletés jetées au tombereau. Les ouvriers avaient bâclé ça comme en se jouant, sifflant sur leurs échelles, chantant à étourdir le quartier.

L’emménagement eut lieu tout de suite. Gervaise, les premiers jours, éprouvait des joies d’enfant, quand elle traversait la rue, en rentrant d’une commission. Elle s’attardait, souriait à son chez elle.

De loin, au milieu de la file noire des autres devantures, sa boutique lui apparaissait toute claire, d’une gaieté neuve, avec son enseigne bleu tendre, où les mots : Blanchisseuse de fin, étaient peints en grandes lettres jaunes. Dans la vitrine, fermée au fond par de petits rideaux de mousseline, tapissée de papier bleu pour faire valoir la blancheur du linge, des chemises d’homme restaient en montre, des bonnets de femme pendaient, les brides nouées à des fils de laiton. Et elle trouvait sa boutique jolie, couleur du ciel.

Dedans, on entrait encore dans du bleu ; le papier, qui imitait une perse Pompadour, représentait une treille où couraient des liserons ; l’établi, une immense table tenant les deux tiers de la pièce, garni d’une épaisse couverture, se drapait d’un bout de cretonne à grands ramages bleuâtres, pour cacher les tréteaux. Gervaise s’asseyait sur un tabouret, soufflait un peu de contentement, heureuse de cette belle propreté, couvant des yeux ses outils neufs. Mais son premier regard allait toujours à sa mécanique, un poêle de fonte, où dix fers pouvaient chauffer à la fois, rangés autour du foyer, sur des plaques obliques. Elle venait se mettre à genoux, regardait avec la continuelle peur que sa petite bête d’apprentie ne fît éclater la fonte, en fourrant trop de coke.

Derrière la boutique, le logement était très convenable. Les Coupeau couchaient dans la première chambre, où l’on faisait la cuisine et où l’on mangeait ; une porte, au fond, ouvrait sur la cour de la maison.

Le lit de Nana se trouvait dans la chambre de droite, un grand cabinet, qui recevait le jour par une lucarne ronde, près du plafond.

Quant à Étienne, il partageait la chambre de gauche avec le linge sale, dont d’énormes tas traînaient toujours sur le plancher.

Pourtant, il y avait un inconvénient, les Coupeau ne voulaient pas en convenir d’abord ; mais les murs pissaient l’humidité, et on ne voyait plus clair dès trois heures de l’après-midi.

Dans le quartier, la nouvelle boutique produisit une grosse émotion. On accusa les Coupeau d’aller trop vite et de faire des embarras. Ils avaient, en effet, dépensé les cinq cents francs des Goujet en installation, sans garder même de quoi vivre une quinzaine, comme ils se l’étaient promis. Le matin où Gervaise enleva ses volets pour la première fois, elle avait juste six francs dans son porte-monnaie.

Mais elle n’était pas en peine, les pratiques arrivaient, ses affaires s’annonçaient très bien. Huit jours plus tard, le samedi, avant de se coucher, elle resta deux heures à calculer, sur un bout de papier ; et elle réveilla Coupeau, la mine luisante, pour lui dire qu’il y avait des mille et des cents à gagner, si l’on était raisonnable.

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photo credit: michale

Source : Emile ZOLA, l’Assommoir (transcription site http://www.inlibroveritas.net/)

Les places de négoce : le marché

Le marché de l’Antiquité au moyen-Age

Antiquité romaine.

“Primitivement le macellum ou marché se confondait avec le forum. Plus tard, quand la vie publique eut encombré le forum romain, et que d’ailleurs le développement de la ville exigea des approvisionnements considérables, il y eut plusieurs marchés où les denrées se vendaient par spécialités, d’où chaque forum tirait son nom. C’est ainsi que l’on eut le forum boarium (où l’on vendait les bœufs), le forum vinurium (pour le vin), piscaiorium (pour le poisson), le forum ou macellum cupedinis, où l’on vendait les plus fins comestibles et les mets tout cuits et prêts à emporter. Mais peu à peu ces marchés locaux et spéciaux firent place à de vastes halles qui reçurent communément le nom de macellum, et où l’on vendait de tout (Varron, De Ling. latV, 1-47).

On connaît notamment le macellum magum sur le Cœlius (Curiomm Urbis, Reg. Il), sans doute le même que le macellum Augusti restauré ou embelli par Néron, le macellum Livae sur l’Esquilin (Curiosum Urbis, Reg. V) appelé aussi forum Esquilinum, car cette antique appellation ne disparaît pas entièrement (Lanciani, Anciens Rome in the light-of recenl Discoveries, p. 152). Il est probable que chaque quartier de la ville eut son macellum (Acro ap. Ilorat., Serm. I, 6,118 ; Jordan, Topographie der Stadt Rom im Alterthum, II, p. 115). Lorsque l’on promulguait des lois somptuaires, des gardes spéciaux étaient affectés au service des marchés et devaient confisquer les denrées interdites (Suétone, Jul., 43).

André Baudrillart.

Architecture.

Place affectée, dans les villes, à la vente des denrées et autres objets nécessaires à l’existence. Les premiers marchés furent établis le plus souvent sans abris ou tout au moins sans abris disposés suivant un plan uniforme ; mais peu à peu, on prit l’habitude, dès l’antiquité, de réserver autour des places servant de marchés des portiques au rez-de-chaussée des maisons avoisinantes et plus tard enfin on construisit de véritables édifices de bois, puis de pierre, largement ouverts à leur partie inférieure et dans lesquels allaient et venaient les marchands qui y exposaient et vendaient leurs denrées. L’agora chez les Grecs, le forum chez les Romains, et, de nos jours, le bazar, chez les Orientaux, répondent à ce que nous appelons marché, tandis que le mot halle indique plutôt une sorte de marché central, pour une ville ou pour un quartier d’une grande ville, marché réunissant plusieurs genres do commerce. (Au XIXe siècle), l’emploi du métal, comme élément principal de la construction des marchés et des halles, a permis de leur donner des dimensions et des proportions jusqu’alors peu usitées et a créé, pour ces édifices comme pour les docks et les gares de chemins de fer, une architecture métallique, caractéristique des progrès de l’art et de la science au XIXe siècle.

Droit administratif.

Au sens restreint du mot, les marchés ou halles sont les constructions édifices sur les places publiques où se réunissent, à des dates fixées, les marchands, pour les abriter eux et leurs marchandises. Mais l’emploi du mot marché s’est étendu aux emplacements eux-mêmes, à l’ensemble des marchands et désigne aujourd’hui, d’une façon générale, les réunions régulièrement tenues parles marchands à des jours et henres déterminés. On les distingue en foires ouvertes au commerce de toutes espèces de marchandises ; marchés aux ‘bestiaux, réservés aux animaux vivants; marchés d’approvisionnement pour les denrées alimentaires, comestibles de toutes natures, matières premières et ustensiles, nécessaires à la population locale.

Etablissement. — Dès le XIIe siècle, on se préoccupa d’en réglementer l’établissement et la tenue. Au roi seul appartenait le droit d’en autoriser l’établissement. Les seigneurs faisaient construire et aménager les halles, les faisaient surveiller et étaient autorisés à percevoir des droits de hallage et de plaçage. Des ordonnances royales avaient créé les oflfcesde mesureurs, vendeurs, peseurs,etc. La Révolution enleva ce droit aux seigneurs, ne leur laissant que la propriété des bâtiments qu’ils avaient construits: mais la loi des 45-28 mars 1790 décida qu’ils devraient s’entendre avec les municipalités pour les leur vendre ou louer.

Plus tard, la loi des 46-24 août 4790 confia aux corps municipaux la police et l’approvisionnement des halles et marchés en même temps que l’inspection de la fidélité du débit et de la salubrité des denrées qui y étaient vendues. Pour Paris, les arrêtés des consuls du 42 messidor an VIII et 3 brumaire an IX donnaient au préfet de police les pouvoirs confiés aux municipalités. Les délibérations des municipalités concernant l’établissement ou la suppression des halles devaient être soumises à l’approbation d’une autorité supérieure. Sous les arrêtés des consuls duu 7 thermidor an VIII, c’était aux consuls que ce droit d’approbation appartenait, après avis du préfet et du ministre de l’intérieur, ou à celui-ci avec l’avis du préfet, quand il ne s’agissait que de simples marchés d’approvisionnement. Les articles 68 et 97 de la loi du 8 avr. 84 n’ont fait que confirmer, ainsi que l’avait déjà fait la loi du 24 juil. 1867, le droit des municipalités, réservant à l’autorité compétente l’approbation, sauf en ce qui concerne les marchés d’approvisionnement dont la réglementation est expressément laissée aux municipalités. Pour les autres marchés, le projet, une fois arrêté par la municipalité, doit être mis à l’enquête. Celle-ci doit réunir l’avis de toutes les communes situées dans un rayon de 2 myriamètres.

Le résultat en est transmis avec les avis des conseils d’arrondissement et général prescrits par les art. 6 et 41 de la loi du 20 mai 1838 au préfet. Sous l’empire des décrets du 25 mars 1852 sur la décentralisation, c’était à celui-ci qu’il appartenait de donner ou de refuser l’approbation à la délibération de la municipalité. Ce droit fut enlevé au préfet et transporté au conseil général par l’art. 46, § 24, de la loi du 40 août 1874. L’obligation do consulter le préfet du département voisin, inscrite dans le décret du 43 août 1864, fut transformée par la loi du 46 septembre 1879 en obligation de consulter le conseil général de ce département lorsque l’enquête préalable s’étend sur des communes en dépendant. Mais celui-ci n’a pas le droit de s’opposer à l’établissement ou à la suppression de marché projeté. Le conseil général du département intéressé reste libre de statuer comme il l’entend, malgré toute opposition.”

Alkmaar cheese market
photo credit: manuel | MC

Source : Gallica

Métiers sous l’ancien Régime : épicier

L’épicier du moyen-Age à la Renaissance

« L’épicier proprement dit fut primitivement chez nous le marchand de gros, l’épicier grossier (les Anglais désignent encore leur épicerie sous le nom de grocery). Il recevait de première main les drogues et les épices, et les vendait soit au détaillant, soit directement au consommateur.Le détaillant n’appartenait pas au corps de l’épicerie son nom officiel était regrattier il débitait, non seulement de l’épicerie, mais du pain, du sel, du fromage, des œufs, du poisson de mer, de la volaille, du gibier. Il pouvait être établi en boutique, mais le plus souvent il était marchand ambulant et, depuis le matin jusqu’au couvre-feu, il allait par les rues joignant sa mélopée aux autres crieries de Paris. L’acheteur qui se respectait faisait ses emplettes chez l’épicier. Mais à petite bourse petit marchand le menu peuple accordait ses préférences à l’éventaire du regrattier; il le trouvait à sa portée et répondait à l’appel.

Le regrattier ne put forcer les cadres de l’épicerie aussi longtemps que les monopoles subsistèrent; mais, après la Révolution, le premier venu, pourvu qu’il payât patente, eut les mêmes droits que les anciens maîtres, put prendre le même titre qu’eux, et les intrus, les parvenus de l’épicerie, se multipliant dans toute la ville, en relations de chaque jour avec leurs voisins, sans cesse sous leurs yeux, il devinrent pour ainsi dire le type consacré de l’épicier aussi s ont-ils fait déchoir l’épicerie dans l’opinion il n’est pas de t mot auquel s’attache moins de prestige qu’au mot épicier, et beaucoup d’épiciers même ont la faiblesse de désavouer leur état, de s’appeler négociants en denrées coloniales, et d’ériger leur boutique en maison d’approvisionnement.

(…)Il faut ici voir l’épicerie sous ses différentes formes, et tenir à la fois compte du gros et du et petit négoce. L’épicier grossier, pour qui sans doute le commerce du gros n’excluait pas le détail, est le prédécesseur e direct des marchands qui continuent encore le même commerce dans le quartier adopté par l’épicerie dès le moyen âge. Fixée définitivement dans la rue des Lombards et aux environs, elle y a assez fidèlement gardé sa physionomie première. Le magasin n’a pas fait de concession au luxe la nécessité ne s’en imposait pas les caisses, les fûts, les ballots ne laissent d’ailleurs aucun mur libre pour le décorateur. Sans doute, le local a dû être élargi pour répondre à l’importance des affaires et à la multiplicité croissante des opérations l’étroite façade du moyen âge avec sa fenêtre unique, dont le bord recevait l’étalage et l’auvent sous lequel le marchand traitait avec l’acheteur, a dû disparaître mais la maison a gardé ses titres de noblesse commerciale représentés par des enseignes séculaires. Le Centaure, la Barbe d’Or, le Bras d’Or, le Soleil d’Or, l’Image de Notre-Dame rappellent l’époque où. les maisons ne portaient pas encore de numéros le Mortier d’Or date au moins du XVe siècle. Villon, dans son Petit Testament, lui réserve un legs. Dans ces parages, se sont de tout temps réalisées de grosses fortunes. En 1470, Louis XI ne trouve rien de mieux pour son hôte, Alphonse V, roi de Portugal, que de l’installer dans le logis de l’épicier Laurent Herbelot, rue des Prouvaires.

L’épicier fut, jusqu’au XVe siècle, épicier-apothicaire, et put cumuler sans réclamations ni inconvénients tant que la pharmacopée, tout empirique, se réduisit à une sorte de routine, l’apprentissage tenait lieu d’études théoriques. (…) Certains apprêts, certaines boissons mentionnées dans les menus gothiques relèvent-ils de la médecine ou de l’art culinaire? Il est telle recette formulée par le codex dont on ne saurait dire si elle est à l’intention du malade ou du gourmet. Platon récrimine contre trois arts, selon lui pernicieux et criminels au premier chef, et chacun, par malheur, est le faux frère d’un art bienfaisant et honnête. La sophistique corruptrice a un air de famille avec la saine philosophie; la parfumerie, à l’aide de ses artifices, fait concurrence à la beauté mâle, saine, sincère, fille de la gymnastique; la cuisine, avec ses raffinements meurtriers, est aussi malfaisante pour le corps que la médecine lui est secourable. Mais le moyen âge s’écoula avant qu’on établit un cordon sanitaire entre la gastronomie et la thérapeutique. Le laboratoire fut aussi cuisine la même main puisa à peu près dans les mêmes tiroirs et les mêmes bocaux poison et contrepoison. Voici les liqueurs présentées au moment des épices avec ses dragées et ses confitures, le praticien apportait son vin herbe, parfumé aux infusions de plantes. S y y avait ajouté les aromates d’Asie, la liqueur était dite piment, ou nectar les piments les plus renommés, le clairet et l’hypocras, en vogue même au XVIIe siècle, étaient parfumés à grand renfort d’épices. Comme les convives de jadis, tout gros mangeurs qu’ils fussent, faiblissaient à la fin des repas démesurés, il leur fallait attiser le feu nécessaire à la « concoction », en prenant certaines mixtures où entraient, par exemple, la sauge, le gingembre, la cardamone, la cannelle, le safran pulvérisés. D’autres conseillaient aux estomacs délabrés le fenouil combiné avec jus de citron, coriandre, conserve de roses, mastic, cannelle. Plus tard, l’eau-de-vie, d’abord vénérée comme une panacée universelle, passera de la fiole aux potions dans le flacon du gourmet; mais ce sera toujours sous le couvert de l’apothicaire.

Dès le XVe siècle, la chimie médicale avait fait assez de progrès pour que le divorce de la pharmacie et de l’épicerie s’imposât s’il ne fut définitivement prononcé qu’en 1777, lorsque le Collège de pharmacie s’ouvrit rue de l’Arbalète, il avait déjà été précédé d’une séparation légale. La difficulté était de régler les droits de chaque partie; mais, à partir du règne de Charles VIII, épiciers-droguistes et apothicaires sont bien distincts. La tendance de plus en plus prononcée est de réduire l’épicerie au commerce des moyen matières premières ou drogues simples, sans le droit de et aux procéder aux pesées médicales, au dosage ou à la confection des médicaments. A partir de 1777, les pharmaciens forment enfin un corps absolument séparé. Leur monopole s survécut à l’ancien régime, et il fut le seul; le nouveau code lui donna une nouvelle consécration.

Mais les épiciers, battus en brèche du côté de la pharmacie, n’avaient pas attendu la Révolution pour s’indemniser d’un autre côté ils transformèrent peu à peu leur négoce en spéculant, dès le XVIIe siècle, sur la commodité que trouve l’acheteur à faire ses emplettes dans un même magasin. Dès 1620, ils vendirent du fer ouvré et non ouvré, du charbon de terre, même. Cependant, pour chacun de leurs empiétements, ils durent se soumettre à des conditions protectrices des droits et des intérêts respectifs en 1731, ils sont autorisés à vendre ratafias, eaux de senteur, fruits à l’eau-de-vie mais ils les livrent par bouteilles pour ne pas faire tort aux limonadiers ; de même, ils doivent fournir le café non brûlé, le thé en feuilles et non en infusion, mais ils conquièrent le droit de faire boire de l’eau-de-vie et des liqueurs même à leur comptoir. En 1740,ils tiennent les légumes secs en gros et en détail, mais avec obligation d’en porter un tiers aux halles et interdiction de les tirer d’un rayon moindre de vingt lieues autour de Paris. Avec des restrictions analogues, ils continuèrent d’annexer les commerces les plus divers; tandis que les jambons et autres viandes de porc en provenance de Bordeaux, Bayonne, Mayence ou ailleurs ne devront pas sortir de leurs magasins autrement que par tonnes, le papier, au contraire, ne s’y écoulera qu’au cahier ou à la main, et non à la rame. La provision de vinaigre ne dépassera pas trente pintes et sera débitée pinte par pinte. Pour être libres de vendre les couleurs broyées et non plus brutes, plusieurs épiciers se firent recevoir peintres. La Révolution les affranchit de toutes ces gênes ils ne furent plus tenus de respecter que les droits du pharmacien et ceux de l’herboriste. Les règlements du 21 germinal an XI assurèrent définitivement au seul pharmacien la vente des médicaments préparés et des substances vénéneuses, au seul herboriste celle des herbes et substances médicinales inoffensives, et l’épicier n’obtint de tolérance que pour les farines de graine de lin et de moutarde, la gomme et les sirops où elle entre, ces substances étant à double fin et pouvant être réclamées pour l’usage domestique. Corporations des épiciers-apothicaires. Avant d’en venir à l’épicerie contemporaine, il est nécessaire de jeter un coup d’œil rétrospectif sur l’ancienne organisation de l’épicerie considérée comme corps de métier.

Les épiciers-apothicaires, parmi lesquels étaient compris également les droguistes, les confiseurs-confituriers, les ciriers-ciergiers, formaient la seconde des six grandes corporations marchandes, sorte d’aristocratie industrielle reconnue par la municipalité. Depuis 1484, ils avaient la garde des poids et mesures ils conservaient dans la maison de la rue des Lombards dite le Poids du Roi l’étalon royal qui, tous les six ans, se vérifiait à la Monnaie sur les matrices originales. Celles-ci étaient gardées sous quatre clefs; elles étaient en cuivre très fin, d’un travail estimé, et l’on aimait à croire qu’elles dataient de Charlemagne. Le bureau de l’épicerie était au cloître Sainte-Opportune. Voici, d’après l’armorial de 1696, la description des armes qu’elle avait été autorisée à prendre « D’azur à un dextrochère (main droite) d’argent mouvant d’une nuée de même, et tenant des balances d’or, à deux navires de gueules équipés d’azur semé de fleurs de lis d’or, posés l’un contre l’autre, flottant sur une mer de sinople et accompagnés de deux étoiles à cinq rais de gueules. » La devise Lances et posera servant (ils gardent les balances et les poids) surmontait l’écu. Le nombre des navires indiquait le rang parmi les métiers ainsi, les drapiers, le premier des cinq corps, n’en avaient qu’un. La communauté était régie par six jurés, moitié épiciers, moitié apothicaires, chargés de veiller à l’observation des statuts. Pour être admis à la maîtrise, il fallait avoir été trois ans apprenti, trois ans serviteur ou garçon; la corporation était une garantie d’aptitude, de probité, une association d’assistance mutuelle, une protection pour l’apprenti et le garçon qui devaient être paternellement surveillés, paternellement traités. Par malheur pour les épiciers, à dater du jour où l’apothicairerie trouva mal assortie l’union des deux métiers en un seul corps, ils cessèrent d’y être traités sur un pied d’égalité, et, à chaque conflit, subirent un échec dans les réunions communes, la prépondérance fut assurée à leurs rivaux ceux-ci refusaient la participation du juré épicier à l’examen du chef-d’œuvre que leurs candidats à la maîtrise élaboraient sous les yeux des experts; pareille épreuve n’existant pas pour les épiciers, on les trouvait disqualifiés pour siéger dans une commission d’examen. D’autre part, les gardes apothicaires furent investis du droit de visiter b droguerie chez leurs adversaires et ils exercèrent ce droit avec rigueur, n’hésitant pas à prononcer, contre toute infraction aux règlements, l’amende et la suspension de six mois Sous l’ancien régime, l’association commerciale se doublait presque toujours d’une association religieuse dite confrérie. La confrérie des épiciers-apothicaires avait son siège aux Augustins, où se tenait en outre l’assemblée générale de la corporation. Elle s’était donné pour patron un saint qui avait obtenu ses grandes lettres de naturalisation parisienne depuis qu’un aventurier normand avait, par un rapt pieux, enlevé ses reliques à une église d’Orient, sain Nicolas. L’épicerie, dont les plus précieuses denrées étaient de provenance orientale, comme les restes vénérés, ni pouvait mieux faire que de se placer sous la sauvegarde de saint Nicolas, déjà protecteur de la batellerie. L’orthodoxie du corps exigeait de tous ses affiliés, outre la qualité de Français ou naturalisé tel, une profession de foi catholique. Parmi eux, le calvinisme ne dut pas recruter de nombreux prosélytes. Un riche marchand de la rue Saint-Denis, Gastine, tint bien dans son logis une assemblé de huguenots, mais rien ne prouve qu’il fût épicier, et le quartier vit avec transports brûler l’hérétique et raser sa maison. Avec la majorité de la bourgeoisie, les épiciers épousent la cause de la Ligue mais ils ne tardent pas à se refroidir, et il en est plus d’un et qui prononce un « date pacem » en soupirant (Satir Ménippée).. »

Montréal, janvier 1976. Rue Villeneuve angle De Bullion.
photo credit: DubyDub2009

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Source : Grande Encyclopédie

Les halles de Paris : origines – XIXe siècle

Histoire des Halles de Paris jusqu’aux Halles de Baltard

HALLE- Archéologie- — La halle est un marche couvert : elle a son orìgine dans les galeries qui entouraient le forum des villes romaines, et sous lesquelles s’abritaient des boutiques. Un certain nombre de halles du moyen-Age reproduisaient cette disposition : telles étaient les halles construites par Henri II d’Angleterre à Saumur, et décrites par Joinville qui les compare à un grand cloître. Les halles élevées à Paris sous Philippe-Auguste formaient de même une cour entourée de portiques mais d’autres bâtiments s’élevaient au centre.

Les halles de Bruges (XIIIe, XIVe, XVe siècles) entourent aussi une cour. Ce type persiste jusqu’au XVIe siècle. Les deux bourses d’Anvers construites à cette époque étaient des cours carrées entourées de portiques et de boutiques. Ce n’est cependant pas lu le type de halles le plus répandu : ces établissements affectaient généralement la forme d’un rectangle allongé, couvert de voûtes ou de charpentes et divisé assez, souvent en deux ou trois nefs, parfois aussi surmonté d’un étage. Les halles pouvaient être générales, servant à toute espèce de commerce on réservées à un seul. Elles pouvaient être la propriété d’un seigneur laïque ou religieux, dune ville ou d’une corporation. De là quelques différences dans les dimensions, le luxe ou certaines dispositions accessoires de ces constructions.

Charpente
photo credit: dynamosquito

À Paris sous saint Louis, il existait deux halles aux draps; plus tard, chaque corporation eut la sienne, et les villes importantes ou rapprochées de la capitale y firent bâtir des halles qui étaient leur propriété. On peut citer comme halles spécialement affectées à un commerce les halles aux draps de Bruges, Bruxelles, Louvain, Gand ; les halles à la viande de Gand, Diest, Ypres, Anvers; la halle au pain de Bruxelles, et de nombreuses poissonneries. Les plus belles halles anciennes qui subsistent sont colles d’Ypres, commencées en 1201 terminées en 1304. Elles ont un étage supérieur et mesurent 133ml0 de façade. Comme à Bruges, le beffroi communal occupe le centre do cette façade et de chaque côté s’étendent vingt-deux travées d’une riche architecture.

Les halles étaient également reliées au beffroi à Arras et à Boulogne ; souvent elles faisaient corps avec l’hotel de ville, comme à Clermont en Beauvaisis. Elles occupent fréquemment le milieu d’une place, et, surtout dans le Midi, elles ne se composent souvent que d’un toit porté sur piliers ou sur arcades : telles sont les halles de Figeac, de Caylus, de Cordes (Haute-Garonne), de Couhé (Vienne). Du XVe au XVIIe siècle, on construisit un grani nombre de balles tout en bois ; telles sont celles d’Evron (Mayenne), Dives (Calvados), Gamaches (Somme), Villeneuve l’Archevêque (Yonne).

Les halles furent le principal centre d’approvisionnement de Paris, Louis VI n’avait installé sur le terrain des Champeaux Saint-llonoré, acheté a l’archevêque do Paris, qu’un marché à blé autour duquel plusieurs autres marchés vinrent peu à peu se grouper. Dès 118o, Philippe-Auguste y faisait construire des maisons, appentis, aux, ouvroirs et boutiques pour y vendre toutes sortes de marchandises. Il y installa une foire permanente et fit clore de murailles le terrain des Champeaux. Philippe le Bel donna aux constructions une certaine extension. On y vend alors non seulement des aliments, mais des draps, des chanvres, des armes, de la cordonnerie, do la friperie, des gants, des colliers, des pelisses et autres vêtements. En 1551,les halles furent démolies et reconstruites; deux ans après on y perça de nouvelles rues, où se groupèrent les marchands de même nature. Elles ont gardé (…) leurs anciens noms significatifs : rue de la Cossonnerie (volaille), rue de la Lingerie, rue des Potiers-d’Etain. D’autre part, les commerçants en spécialités provinciales formaient aussi bande à part, et divers points des halles étaient connus sous la dénomination de halles de Gonesse, halles de Pontoise, de Beauvais, de Douai, d’Amiens, de Bruxelles, etc. Il n’est rien, dit Michel de Marolles (XVIIe siècle), qui ne se vende aux halles où il y a plusieurs places jointes ensemble, l’une pour le blé, l’autre pour les herbes et les fruits, une autre pour la marée, d’autres pour la friperie, des rues tout entières pour des pourpoints, d’autres pour des chausses et quelques-unes pour des souliers. »

Les choses restèrent a peu près en cet état jusqu’au second Empire. La halle au blé, brûlée en 1802, fut reconstruite et surmontée d’une coupole en fer en 1511 ; elle a disparu lors de la création de la Bourse du commerce ; la halle aux cuirs, transférée en 1784 rue Mauconseil, émigra, en 1803, rue Censier; la halle aux draps et toiles, créée en 1786, fut incendiée en 1835 et ne reparut plus. C’est de 1854 seulement que datent les halles centrales, commencées d’après les plans et sous la direction de Baltard.

Les Halles
photo credit: Ludo29880

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Source : BNF – Gallica

Etablissement des français dans les iles de l’Amérique (XVIIe)

HISTOIRE

PHILOSOPHIQUE

ET

POLITIQUE

DES ETABLISSEMENS ET DU COMMERCE DES

EUROPÉENS DANS LES DEUX INDES.

LIVRE TREIZIEME.

« Etablissement des Français dans les iles de ul’Amériqe,

I. Considérations générales fur l’établissement des colonies

L’un cependant n’aurait-il pas été aussi sage que l’autre a été funeste j & n’en serait-il pas de l’étendue des empires ainsi que de la population ? Un grand empire & une grande population peuvent être deux grands maux. Peu d’hommes, mais heureux; peu d’espace , mais bien gouverné.

Le fort des petits états est de s’étendre; celui des grands de se démembrer.

L’accroissement de puissance que la plupart des gouvernements de l’Europe se sont promis de leurs possessions dans le Nouveau-Monde, m’occupe depuis trop longtemps, pour que je ne me sois pas demandé souvent à moi-même, pour que je n’aie pas demandé quelquefois à des hommes plus éclairés que moi, ce qu’on devait penser d’établissements formés à si grands frais & avec tant de travaux dans un autre hémisphère.

(…)

II. Premières expéditions des François aux iles de l’Amérique.

Depuis la fin tragique du meilleur de ses monarques, cette nation avait été sans cesse : bouleversée par les caprices d’une reine intrigante, par les vexations d’un étranger avide, par les projets d’un favori sans talent. Un ministre despote commençait à la charger de fers, lorsque quelques-uns de ses navigateurs, aussi puissamment excités par la passion de l’indépendance, que par l’appât des

richesses , tournèrent leurs voiles vers les Antilles , avec l’espérance de se rendre maîtres des vaisseaux Espagnols qui fréquentaient ces mers. La fortune, après avoir plusieurs fois secondé leur courage, les réduisit a chercher un asile pour se radouber. Ils le trouvèrent à Saint-Christophe en 1625. Cette isle leur parut propre au succès de leurs armements; & ils souhaitèrent être autorisés à y former un établissement. Denambuc, leur chef, obtint non-seulement cette liberté mais encore celle de s’étendre autant qu’on le voudrait ou qu’on le pourrait, dans le grand archipel de l’Amérique. Le gouvernement exigea pour cette permission, qui n’était accompagnée d’aucun secours, d’aucun appui, le dixième des denrées qui arriveraient de toutes les colonies qu’on parviendrait à fonder.

III. Les iles Françaises languissent longtemps sous des privilèges exclusifs.

Une compagnie se présenta en 1626, pour exercer ce privilège. C’était l’usage d’un temps où la navigation & le commerce n’avoient pas encore assez de vigueur pour être abandonnés à la liberté des particuliers. Elle obtint les plus grands droits. L’état lui abandonnait pour vingt ans toutes les iles qu’elle mettrait en valeur, et l’autorisait à se faire payer cent livres de tabac, ou cinquante livres de coton par chaque habitant depuis seize jusqu’à soixante ans. Elle devait y jouir encore de l’avantage d’acheter & de vendre exclusivement. Un fonds qui ne fut d’abord que de 41,000livres, & qu’on ne porta jamais au triple de cette somme, lui valut tous ces encouragements.

Il ne paraissait pas possible de rien faire d’utile avec des moyens si faibles. On vit cependant sortir de Saint -Christophe des essaims d’hommes hardis & entreprenants qui arborèrent le pavillon François dans les îles voisines. Si la compagnie qui excitait l’esprit d’invasion par quelques privilèges, eût eu, à tous égards, une conduite bien rationnée, l’état ne pouvait tarder à tirer quelque fruit de cette inquiétude. Malheureusement elle fit ce qu’a toujours fait, ce que fera toujours le monopole : l’ambition d’un gain excessif la rendit injuste & cruelle. Les Hollandais, avertis de cette tyrannie, se présentèrent avec des vivres & des marchandises , qu’ils offraient à des conditions infiniment plus modérées. On accepta leurs propositions. Il se forma dès-lors entre ces républicains & les colons, une liaison dont il ne fut pas possible de rompre le cours. Cette concurrence ne fut pas feulement fatale à la compagnie dans le Nouveau-Monde, où elle l’empêchait de débiter ses cargaisons ; elle la poursuivit encore dans tous les marchés de l’Europe,où les interloppes donnaient toutes les productions des iles Françaises à plus bas prix. Découragés par ces revers mérités les associés tombèrent dans une inaction entière, qui les privait de la plus grande partie de leurs bénéfices, sans diminuer aucune de leurs charges. Dans leur désespoir, ils abandonnèrent, en 1631, leur octroi à une nouvelle compagnie, qui elle-même le céda à une autre en 1642.

Inutilement, le ministère sacrifia à la dernière les droits qu’il s’était réservés. Cette faveur ne pouvait pas changer le mauvais esprit qui jusqu’alors avait été un principe constant de calamités. Une nouvelle révolution devint bientôt nécessaire. Pour éviter sa ruine totale, pour ne pas succomber sous le poids de ses engagements, le corps épuisé mit ses possessions en vente. Elles furent achetées la plupart par ceux qui les conduisaient comme gouverneurs.

Boisseret obtint, en 1649, pour 73,000 livres, la Guadeloupe, Marie Galande, les Saints, & tous les effets qui appartenaient à la compagnie dans ces iles : il céda la moitié de soi marché à Houel, son beau – frère. Duparquet ne paya, en 1650, que 60,000 livres, la Martinique, Sainte-Lucie, la Grenade & les Grenadins : il revendit sept ans après au comte de Cerillac la Grenade & les Grenadins un tiers de plus que ne lui avait coûté son acquisition entière. Malthe acquit, en 1651 Saint-Christophe , Saint-Martin , Saint – Barthelemi, Sainte-Croix & la Tortue, pour 40,000 écus : ils furent payés par le commandeur de Poincy qui gouvernait ces iles. La Religion devait les posséder comme fiefs de la couronne, et n’en pouvait confier l’administration qu’à des Français. »

Source :

Titre : Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des européens dans les deux Indes. Tome 7 / . Par Guillaume-Thomas Raynal

Auteur : Raynal, Guillaume-Thomas (1713-1796)

Éditeur : [s.n.] (Genève)

Date d’édition : 1781

Type : monographie imprimée

Langue : Français

Format : 10 vol. ; in-12

Bibliothèque nationale de France

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