Tag Archive for halles de Paris

Les halles de Paris vers 1890 : le personnel

La vie quotidienne des Halles de Paris vers 1890

Carreau des halles.

“On comprend sous ce nom les voies couvertes qui séparent les pavillons et les espaces découverts (rues, places, carrefours) situés autour des halles dans un rayon d’environ 4 kilomètres, Les approvisionneurs de ce marché forain sont les jardiniers et horticulteurs de Paris et de la banlieue, qui le fournissent de primeurs, de roses, de lilas,de plantes de serre chaude; les cultivateurs de Seine, Seine-et-Oise et autres départements limitrophes qui apportent les gros légumes, les choux, les carottes, les fraises, les cerises, les groseilles ; certaines localités y envoient leurs produits spéciaux: Gonesse ses artichauts, Montlhéry ses potirons, Thomery ses raisins, le Midi ses fleurs. Le marché désabonnés contient 1518 places, dont 1,118 pour les jardiniers-maraîchers, 32 pour les horti­culteurs et 68 pour les marchands de cresson. Les produits des droits de place du carreau ont été, en 1892, de 175,645 fr. A partir de dix heures du soir, les voitures des maraîchers commencent à entrer dans Paris par toutes les barrières ; elles se placent rue Rambuleau, rue Pierre-Lescot, rue Berger, rue Baltard, rue de la Cossounerie, rue Montmartre, rue Saint-Denis, rue de la Lingerie, etc. On trouve un marché aux plantes officinales dans la rue de la Ferronnerie, des légumes dans la rue des Halles, des fruits rue Turbigo. Le stationnement des voitures est concédé à un industriel dont les nombreux agents et gardeuses surveillent toutes voitures venues soit pour la vente, soit pour l’achat de denrées et stationnant entre l’hôtel de Ville, les quais, le Palais-Royal, la rue Mandar et le square des Arts-et-Métiers. Les bons do place coûtent de 0 fr. 30 à 0 fr. 40. A huit heures du matin en été, à neuf heures en hiver, un coup de cloche donne le signal de la dislocation de cette agglomération de véhicules évaluée, en 1892, à 567,900. Le carreau appartient alors aux marchands au petit tas qui se placent prés des pavillons VII et VIII et sur lesquels la ville perçoit encore 7,900 fr. 35 de droits. Les places du carreau sont concédées soit à la journée, soi au mois par abonnement.

Athènes, les halles
photo credit: ollografik

En somme, le mouvement des halles est perpétuel. Une fois la vente finie, à la tombée de la nuit, et accomplis les travaux de rangement et de nettoyage, les arrivages commencent. Dés neuf heures du soir, l’activité est déjà considérable; elle redouble vers minuit, s’exaspère jusqu’à neuf heures du matin, tombe progressivement de deux heures de l’après-midi à neuf heures du soir et reprend de plus belle.

Le personnel spécial des halles.

L’administration y est représentée par des agents de la préfecture de la Seine et des agents de la préfecture do police. Deux inspecteurs principaux, dépendant du bureau de l’approvisionnement, sont chargés du service des perceptions municipales. La surveillance des ventes et à l’inspection de la salubrité des denrées sont confiées à cinq inspecteur principaux répartis dans les divers pavillons.

Un chef de service et un contrôleur chef de laboratoire s’occupent spécialement de l’inspection des viandes.

Les ventes à la criée et à l’amiable se font par l’intermédiaire des facteurs(…)

Les dames de la halle sont les marchandes au détail des divers pavillons, celles surtout des pavillons de la marée, des fruits, légumes, fleurs, de la volaille et de la triperie. On les appelait jadis les poissardes, et la verdeur de leur langage est légendaire. On connaît aussi leur enthousiasme séculaire pour la famille royale de France. Elles avaient le privilège de complimenter le roi dans les grandes occasions (naissance d’un fils de France, mariage royal, victoire, jour de l’an), Elles lui portaient des bouquets, et, admises dans la galerie du château de Versailles, elles faisaient à genoux leurs compliments. Elles dînaient au grand commun : un des premiers officiers de la maison du roi leur faisait les honneurs. Elles pouvaient encore occuper la loge du roi et de la reine aux représentations gratuites. Leur royalisme subit une sérieuse atteinte aux débuts de la Révolution, car elles furent les premières à courir à Versailles les S et 6 octobre pour en ramener « le boulanger, la boulangère et le petit mitron ». Mais elles revinrent aux bonnes traditions. Napoléon 1er les admit aux Tuileries. Napoléon III leur donna un bal splendide après le 2 décembre. Files ont été boulangistes. Elles sont (…) russophiles. Elles ont deux syndicats datant de 1887 : la chambre syndicale des marchands et marchandes de fruits et légumes des pavillons des Halles centrales qui comprend 120 membres; la chambre syndicale des dames détaillantes du pavillon à la marée qui comprend 103 membres.

Reflect
photo credit: dynamosquito

Forts de la halle. Les forts de la halle sont les porteurs attachés à lu vente en gros, avec la qualité d’ouvriers privilégiés, en nombre limite, formant une corporation régie par des statuts et gouvernée par des syndics, ayant une caisse commune. Ils sont placés sous l’autorité dé la préfecture de police, nommés par elle, par elle subordonnés à l’inspection des halles et marchés. Les aspirants aux fonctions de forts ont à faire une déclaration à leur mairie, à justifier de leur moralité. La mairie leur délivre une médaille; la préfecture leur remet de son côté une commission et une plaque aux armes de la ville, qui doit être suspendue au côté droit de leur veste. L’insigne de leurs syndics est une médaille d’argent. Outre les garanties de moralité, ils ont, au point de vue de l’aptitude professionnelle, à fournir la preuve de leur force physique. Ainsi l’on montre, déposé sur le sol dans la halle de la volaille, dite encore aujourd’hui Vallée, le cageot destiné aux épreuves. Le postulant, pour être accepté, doit le descendre à la cave et le remonter chargé de 200 kgs. L’institution des forts remonte à saint Louis. Il les établit pour servir les chasse-marée des côtes de la Manche qui, poussant devant eux de solides bidets, venaient approvisionner la halle de poisson de mer. Aussi la confrérie des forts avait-elle adopte le saint roi comme patron, tandis que les autres groupes de portefaix s’étaient mis sous la tutelle de saint Christophe.

Il y a des équipes de forts pour chaque division de la vente on gros. Aux forts sont exclusivement réserves la décharge et le rangement des apports dans les lieux ou se fait cette vente, soit sur le carreau, soit dans les pavillons. Seuls, avec le personnel du factorat, ils ont accès dans les resserres dépendantes de cette vente (arrêt du 6 mai 1861 ). Les marchandises étant sous la responsabilité des facteurs et subsidiairement des forts, il fallait réduire autant que possible les chances de détournement ou de perte. Particulièrement au marché de la volaille, une consigne sévère interdit la sortie de tout panier de toute espèce qui ne serait pas entre les mains d’un fort. C’est à la porte que livraison en est faite par lui, soit aux acquéreurs, soit aux porteurs. Ce service est tarifé; le minimum pour les petits poids est de 40 cent., avec augmentation proportionnelle; pour 600 kgs. la taxe est de 1 fr. Dans la resserre de la volaille, la responsabilité est partagée par les gaveurs, catégorie d’employés que l’on peut rattacher aux forts. Ce sont eux qui ont à garnir le jabot des pigeons, et à les empêcher de périr faute de nourriture : eux et leurs chiens font en outre une guerre d’extermination aux chats qui, en dépit de toute vigilance, parviennent souvent à décapiter la volaille assez, mal avisée pour allonger le cou à travers les claires-voies des cages.

L’équipe dite des grands fruits est en possession du carreau. Chacun des arrivants se dirige vers le kiosque où il se fait délivrer par un agent de la perception municipale un bulletin de placement, qu’il présente au syndic des forts chargé d’assigner les places. Le pourvoyeur opère lui-même la décharge s’il s’agit de gros légumes ; le fort, moyennant un salaire fixe, lui prête son concours pour les sacs et les paniers. Il faut se hâter, la besogne presse, surtout lorsqu’à la saison des fraises les jardiniers forment une ininterruption jusqu’à Montrouge, et le carreau doit, à -cette époque de 1 année, être libre à neuf heures. Mais le fort des grands fruits ne plaint pas sa peine et plus d’un camarade envie son emploi. Le bénéfice annuel d’un fort est de 1,300à 3,000 fr. ; depuis 1864 une rente viagère de 600 fr. est allouée au fort âgé ou malade qui compte trente ans d’exercice et dont le service a été satisfaisant.

Il n’a été jusqu’ici question que delà corporation des forts proprement dits, qui compte cinq à six cents membres; mais les halles occupent encore d’autres manœuvres. Il y a des forts livreurs cl des forts de ville. Les forts livreurs, également privilégiés, sont en nombre limité comme les forts proprement dits ; ils sont médaillés et munis d’un certificat délivré par le commissaire do police. Ils reçoivent des forts la marchandise vendue par les facteurs ou les approvisionneurs. Les forts de ville sont les porteurs occupés dans Paris à décharger les farines destinées a l’approvisionnement des boulangeries. Le nombre n’en est pas limité; leur médaille doit être renouvelée annuellement par le commissaire de police ; leur travail n’est pas tarifé: ils traitent de gré à gré. Il ne leur est pas permis d’exhiber leur médaille sur le carreau et d’y quêter du travail. Pour qui n’est pas un habitué des halles, ils représentent le type classique du fort, à la belle carrure, il l’aplomb libre. Toutefois, les plus beaux spécimens de forts se trouvent aux halles, particulièrement aux pavillons de la volaille et des beurres. eux aussi portent ordinairement le chapeau aux larges ailes; ils passent de plus à leur cou le colletin de gros velours destiné, avec le chapeau frotté de craie, à empêcher les fardeaux de glisser. Ils conservent ainsi la liberté des mains et l’aisance rie l’allure; leur cou de taureau, leur puissante musculature, toute leur personne vigoureusement charpentée, quoique tassée, pour ainsi dire, par la pesée continuelle des lourdes charges, prouve la force ; la souplesse, l’élasticité des mouvements, l’adresse leur sont tout aussi nécessaires pour se faire jour, sans causer d’accidents, à travers l’encombrement et le tourbillon do notre gigantesque marché ; cariatides vivantes et mobiles, ils en sont les physionomies les plus frappantes.”

——————————-

Source :

Marcel Charlot – BNF – Gallica

Les pavillons de Halles de Paris vers 1892 : fonctionnement et chiffres

Présentation des pavillons “Baltard” vers 1892

Des quatorze pavillons qu’elles doivent comprendre, dix sont en service. Ce sont les numéros 3 à 12. Le pavillon III, a l’angle N.-O., vers la rue Vauvilliers et parallèle à l’église Saint-Eustache est affecté ;ï la vente au détail, à la vente en gros et a la criée des viandes. Le pavillon IV renferme le marché de la volaille et du gibier ; le pavillon V, la triperie et une annexe du marché de la boucherie ; le pavillon VI, les fruits et légumes, les grains et farines ; le pavillon VII est destiné à la vente au détail des fruits, légumes et fleurs coupées ; le pavillon VIII à la vente au détail des gros légumes ; le pavillon IX à la vente en gros et au détail des poissons d’eau douce et de la marée; le pavillon X à la vente en gros des beurres et œufs. La pavillon XI est un marché de détail pour la volaille, les primeurs et la viande cuite. Au pavillon XII, on trouve les fromages et les huîtres.

Reprenant en détail ces divisions, nous rendrons compte, sommairement, des transactions énormes qui s’y font (à la fin du XIXe siècle),

Pavillons III et V. Ces viandes qui y sont amenées forment environ 28 % de la consommation de Paris pour la viande de boucherie et 11% pour la viande de porc. Un 1892, les quantités introduites ont été de 43,095,901 kilos en diminution de près de 8 % sur la moyenne des cinq années précédentes. Les arrivages ont lieu après minuit par camions de chemins de fer. Us viandes proviennent principalement des abattoirs municipaux, Le surplus est fourni par les communes suburbaines et surtout les pays étrangers. L’Allemagne et l’Autriche fournissent des moutons ; la Suisse des aloyaux de boeuf ; la Russie envoie dos bœufs. Les porcs viennent surtout de la Bretagne et de la Normandie. Les salaisons sont fournies par des établissements de Paris et achetées par les petits restaurateurs et les marchands au panier. Aussitôt les viandes arrivées, elles sont vérifiées par l’administration et le service sanitaire. Tout panier pénétrant sur le marché doit porter le visa de l’inspecteur de la boucherie qui siège en permanence au pavillon n° III. En 1892, on a saisi 241,864 kg. de viandes reconnues insalubres (bœuf surtout). Le droit d’abri acquitté pour foute espèce de viande est de 2 fr. 10 par 100 kilos ; il a produit, en 1892, 941,081 fr. 82. Les facteurs étaient la même année au nombre de48, les commissionnaires opérant à l’amiable au nombre de 8. Il y a de plus 5 découpeurs assermentés qui procèdent à la mise en état et au découpage des viandes, flans le sous-sol du pavillon V opèrent les cabocheurs qui brisent les tètes de moutons pour en tirer la langue et la cervelle.

homard
photo credit: hirondellecanada

2° Pavillon IV. Le pavillon à la volaille et au gibier est plus connu sous le nom de la Vallée, qui lui vient de cette circonstance que le marché était jadis situé sur le (quai de la Mégisserie et le quai des Grands-Augustins, lieu connu anciennement sous la dénomination de la Vallée de misère. Les introductions ont été, en 1892, de 22,823.573 kilos, dont 20.882,883 kilos de volailles et 476,000 kilos do gibier français. L’Allemagne et l’Autriche envoient surtout des lièvres (120,000 nièces) et des perdrix (225,000 pièces) ; la Hollande des alouettes (30,000) et des faisans (10,000); l’Angleterre des alouettes (20,000) et des faisans (40,000) ; l’Espagne des grives et merles (30,000), des sansonnets (150,000), des alouettes (75,000) ; l’Italie des cailles (150,000), des pigeons (1,330,000), des grives et merles [45,000) ; la Russie des coqs de bruyère (1,500), des gelinottes (1,400), des lagopèdes (3,000), des poulets (22,000). Les volailles sont presque toutes indigènes. Elles sont amenées vivantes des départements dans des cages à claire-voie. Descendues dans les sous-sols du pavillon, elles sont, avant d’être tuées et mises en vente, gavées une dernière fois par des gaveurs. Cette opération a pour but de leur donner une meilleure apparence. On a saisi, en 1804, 0,431 pièces défectueuses. Le droit d’abri est de 2 fr par 100 kilos. Le montant du droit a atteint 408,383 fr. 80. Le nombre des facteurs était de44 et celui des commissionnaires de 59.

3° Pavillon V. Triperie (V. ci-dessus pavillon ill pour l’annexe de la boucherie). Les abats sont introduits par lots (1,995,981 lots en 1892). Ce sont des foies, mous, cœurs, langues, cervelles, rognons de bœuf, de veau, de mouton, des fressures de veau et de mouton, des fraises, pieds et ris do veau, des tétines, du gras double, etc. Ils proviennent principalement des abattoirs (58 %) ; la Hollande envoie beaucoup de rognons et de cervelles de bœuf salés, qui sont achetés par les marchands au panier et les tripiers des quartiers excentriques. Le produit des droits d’abri s’est élevé, en 1892, à 115,808 fr. 05. Il y avait a ce moment 18 facteurs, mais toutes les opérations de ce marché se font à l’amiable. La triperie a été transportée au pavillon VI le 31 mars 1890.

4° Pavillon VI. Les fruits et légumes sont apportés pur les cultivateurs de la banlieue qui les déchargent sur le carreau, par les producteurs de l’Algérie et de l’étranger qui expédient des primeurs,soit au pavillon VI, soit dans des magasins situés aux abords directs des Halles. Les apports totaux se sont élevés, en 1892, à 12 millions 083,4O5 kilos. Lus départements qui contribuent le plus à l’approvisionnement sont: Seine, Seine-et-Oise, Oise, Seine-et-Marne, Var, Bouches-du-Rhône,Vaucluse,Gironde,Nièvre, Yonne, Tarn-et-Garonne, Lot-et-Garonne. Les arrivages de l’étranger représentent environ 10,52 % des introductions totales. L’Espagne vient en première ligne avec les oranges, citrons, mandarines, raisins ; puis la Belgique avec les pèches, fraises, raisins de choix, endives. I.e cresson à lui seul a atteint le poids de 5,559,900 kilos. Les saisies opérées en 1892 ont porté sur 25,012 kilos. de mar­chandises, surtout sur le cresson, les champignons, les cèpes, les oranges, les cerises, les pèches. Il y avait 10 facteurs, le droit d’abri a produit 68,970 fr. 08. Les grains et farines vendus dans le même pavillon donnent lieu à des transactions peu importantes: 7,419 quintaux introduits en 1892; le droit d’abri ne produit que 372 (r. 70. Jadis (1883), les chiffres étaient plus importants : 41,676 quintaux de grains et 10,868 quintaux de farines. Sur 4 facteurs inscrits, 2 seulement font des opérations.

Athènes, les halles
photo credit: ollografik

5° Pavillon VII. Il ne s’y vend qu’au détail des fruits, des légumes et des (fleurs coupées. 283 places de 4 m. Chacune sont réservées aux détaillants. Les droits pour la location des places et resserres se sont élevés, en 1892, a 89,593 fr. 05. Dans ce pavillon, on trouve encore des couronnes d’immortelles et de perles, des médaillons emblématiques à bon marché.

6° Pavillon VIII. Il ne sert qu’à la vente au détail des gros légumes. Les droits de location aux marchands ont donné à la Ville, en 1892, un produit de 87,381 fr. 50.

7° Pavillon IX. Les quantités de poissons et de coquillages de toutes espèces introduites aux halles, en 1892, ont été de 31,124,342 kilos., dont 2,974,190 kilos. do poissons et 4,703,770 kilos. de moules et coquillages provenant de l’étranger (surtout de l’Angleterre, de la Hollande et de la Belgique). Il a été saisi comme défectueux 241,030 kilos. de marée, 36,504 kilos. de poisson d’eau douce, 54.078 kilos. de moules et coquillages, le droit d’abri perçu sur tous les poissons indistinctement est de 1 fr. par 100 kilos. et de 0 fr. 10 par 100 kilos. pour les moules et coquillages. Le montant des produits s’est élevé à 259,144 fr 53. Le nombre des facteurs était de 61, celui des commissionnaires de 92. Le poisson déballé est placé dans des paniers plats par les verseurs qui assemblent les espèces et répartissent les lots à mettre en vente, de manière que la marchandise soit présentée sous le meilleur aspect. Le poisson d’eau douce arrive généralement vivant et est versé dans des boutiques en pierre alimentées d’eau courante.

8° Pavillon X. Vente en gros des beurres et œufs. Les beurres de toute espèce, margarines, beurrines et autres produits sont entrés aux balles, en 1892, pour la quantité de 11,341,737 kilos., dont 345,321 kilos. provenant de l’étranger. Le droit d’abri perçu est de 1 fr pour 100 kilos. ; il a produit 110,900 fr. 50. Le nombre des facteurs était de 31. Les beurres, après leur arrivée, sont transportés dans les caves et rafraîchis, puis pétris a nouveau. Celte opération, qui s’appelle la maniolte, a pour but de mélanger plusieurs espèces de beurres, d’origine différente, et d’en faire un seul et même type. Ce type est blanchâtre ; aussi le colore-l-on à l’aide du rocou. On reproche, assez vraisemblablement, semble-t-il, a la maniolte de favoriser une incorporation assez forte de margarine au vrai beurre. Les œufs apportés aux halles, en 1892, pesaient 16,031,400 kilos., dont 290,344 kilos. provenant de l’étranger. Les œufs français viennent surtout de Normandie, de Bretagne, do Bourgogne, du Bourbonnais, de Picardie, de Brie, de Champagne, de Beauce, du Nivernais ; les étrangers presque uniquement d’Autriche-Hongrie. 654,866 œufs reconnus impropres a la consommation ont été saisis ; le montant du droit d’abri s’est élevé à 161,452 fr. 10. Les facteurs étaient au nombre de 26. Les œufs sont renfermés dans des mannes qui en contiennent chacune 1,000 environ. Les compteurs mireurs, dépendant de la préfecture de police et assermentés, comptent tous ces œufs (environ 230,000,000 par an), les mirent a la bougie et évaluent leur grosseur à l’aide de bagues plus ou moins larges où ils les font passer. Ce triage détermine la qualité des œufs et leur répartition en trois choix. Les compteurs mireurs comptent aussi les fromages vendus en nombre, vérifient et comptent les beurres en mottes d’une livre.

Épinal - Marché couvert (3)
photo credit: Lautergold

9° Pavillon XI. Ce pavillon, très fréquenté, est un marché de détail. Il existe 146 marchands de volailles, 122 de verdure et do primeurs, 8 de viandes cuites. Les droits de location ont rapporté, en 1892, 92,951 fr. 30. Dans le sous-sol, comme au pavillon IV, se font le gavage et le plumage des volailles. Les marchands de viandes cuites ont reçu le surnom populaire de marchands d’arlequins. Ils recueillent les dessertes des ministères, des ambassades, des grands restaurants, des hôtels, des maisons riches, font un tri dans les resserres et procèdent à un mélange habile qu’ils vendent deux ou trois sous la portion. Les morceaux de belle apparence atteignent des prix plus élevés et sont achetés le plus souvent par les petits restaurateurs. Les rogatons informes deviennent une purée destinée a la nourriture des chiens de luxe. Les os sont achetés par les fabricants de tablettes de bouillon. On fait aussi commerce dans ce pavillon des mies et des croûtes de pain provenant surtout des lycées et pensions.

10° Pavillon XII. Fromages et huîtres. Il a été intro­duit aux halles, en 1892, 7,716,875 kilos. de fromages de toute espèce, dont 7,178,898 kilos. de fromages frais. Les fromages secs (gruyère, hollande, roquefort, cantal, chester, etc.) et frais (brie, livarot, bondon, camembert, pont-l’évèque) payent un droit d’abri de 1 fr. par 1OO kilos.

——————-

Source : BNF – Gallica

Les halles de Paris : origines – XIXe siècle

Histoire des Halles de Paris jusqu’aux Halles de Baltard

HALLE- Archéologie- — La halle est un marche couvert : elle a son orìgine dans les galeries qui entouraient le forum des villes romaines, et sous lesquelles s’abritaient des boutiques. Un certain nombre de halles du moyen-Age reproduisaient cette disposition : telles étaient les halles construites par Henri II d’Angleterre à Saumur, et décrites par Joinville qui les compare à un grand cloître. Les halles élevées à Paris sous Philippe-Auguste formaient de même une cour entourée de portiques mais d’autres bâtiments s’élevaient au centre.

Les halles de Bruges (XIIIe, XIVe, XVe siècles) entourent aussi une cour. Ce type persiste jusqu’au XVIe siècle. Les deux bourses d’Anvers construites à cette époque étaient des cours carrées entourées de portiques et de boutiques. Ce n’est cependant pas lu le type de halles le plus répandu : ces établissements affectaient généralement la forme d’un rectangle allongé, couvert de voûtes ou de charpentes et divisé assez, souvent en deux ou trois nefs, parfois aussi surmonté d’un étage. Les halles pouvaient être générales, servant à toute espèce de commerce on réservées à un seul. Elles pouvaient être la propriété d’un seigneur laïque ou religieux, dune ville ou d’une corporation. De là quelques différences dans les dimensions, le luxe ou certaines dispositions accessoires de ces constructions.

Charpente
photo credit: dynamosquito

À Paris sous saint Louis, il existait deux halles aux draps; plus tard, chaque corporation eut la sienne, et les villes importantes ou rapprochées de la capitale y firent bâtir des halles qui étaient leur propriété. On peut citer comme halles spécialement affectées à un commerce les halles aux draps de Bruges, Bruxelles, Louvain, Gand ; les halles à la viande de Gand, Diest, Ypres, Anvers; la halle au pain de Bruxelles, et de nombreuses poissonneries. Les plus belles halles anciennes qui subsistent sont colles d’Ypres, commencées en 1201 terminées en 1304. Elles ont un étage supérieur et mesurent 133ml0 de façade. Comme à Bruges, le beffroi communal occupe le centre do cette façade et de chaque côté s’étendent vingt-deux travées d’une riche architecture.

Les halles étaient également reliées au beffroi à Arras et à Boulogne ; souvent elles faisaient corps avec l’hotel de ville, comme à Clermont en Beauvaisis. Elles occupent fréquemment le milieu d’une place, et, surtout dans le Midi, elles ne se composent souvent que d’un toit porté sur piliers ou sur arcades : telles sont les halles de Figeac, de Caylus, de Cordes (Haute-Garonne), de Couhé (Vienne). Du XVe au XVIIe siècle, on construisit un grani nombre de balles tout en bois ; telles sont celles d’Evron (Mayenne), Dives (Calvados), Gamaches (Somme), Villeneuve l’Archevêque (Yonne).

Les halles furent le principal centre d’approvisionnement de Paris, Louis VI n’avait installé sur le terrain des Champeaux Saint-llonoré, acheté a l’archevêque do Paris, qu’un marché à blé autour duquel plusieurs autres marchés vinrent peu à peu se grouper. Dès 118o, Philippe-Auguste y faisait construire des maisons, appentis, aux, ouvroirs et boutiques pour y vendre toutes sortes de marchandises. Il y installa une foire permanente et fit clore de murailles le terrain des Champeaux. Philippe le Bel donna aux constructions une certaine extension. On y vend alors non seulement des aliments, mais des draps, des chanvres, des armes, de la cordonnerie, do la friperie, des gants, des colliers, des pelisses et autres vêtements. En 1551,les halles furent démolies et reconstruites; deux ans après on y perça de nouvelles rues, où se groupèrent les marchands de même nature. Elles ont gardé (…) leurs anciens noms significatifs : rue de la Cossonnerie (volaille), rue de la Lingerie, rue des Potiers-d’Etain. D’autre part, les commerçants en spécialités provinciales formaient aussi bande à part, et divers points des halles étaient connus sous la dénomination de halles de Gonesse, halles de Pontoise, de Beauvais, de Douai, d’Amiens, de Bruxelles, etc. Il n’est rien, dit Michel de Marolles (XVIIe siècle), qui ne se vende aux halles où il y a plusieurs places jointes ensemble, l’une pour le blé, l’autre pour les herbes et les fruits, une autre pour la marée, d’autres pour la friperie, des rues tout entières pour des pourpoints, d’autres pour des chausses et quelques-unes pour des souliers. »

Les choses restèrent a peu près en cet état jusqu’au second Empire. La halle au blé, brûlée en 1802, fut reconstruite et surmontée d’une coupole en fer en 1511 ; elle a disparu lors de la création de la Bourse du commerce ; la halle aux cuirs, transférée en 1784 rue Mauconseil, émigra, en 1803, rue Censier; la halle aux draps et toiles, créée en 1786, fut incendiée en 1835 et ne reparut plus. C’est de 1854 seulement que datent les halles centrales, commencées d’après les plans et sous la direction de Baltard.

Les Halles
photo credit: Ludo29880

—————————-

Source : BNF – Gallica

Les Halles de Paris vers 1880 – les bancs de poissons vus par Zola

polynesian beauty vs Nemo's friends

photo credit: procsilas

“Le premier matin, lorsque Florent arriva à sept heures, il se trouva perdu, les yeux effarés, la tête cassée. Autour des neuf bancs de criée, rôdaient déjà des revendeuses tandis que les employés arrivaient avec leurs registres, et que les agents des expéditeurs, portant en sautoir des gibecières de cuir, attendaient la recette, assis sur des chaises renversées, contre les bureaux de vente. On déchargeait, on déballait la marée, dans l’enceinte fermée des bancs, et jusque sur les trottoirs. C’était, le long du carreau, des amoncellements de petites bourriches, un arrivage continu de caisses et de paniers, des sacs de moules empilés laissant couler des rigoles d’eau. Les compteurs-verseurs, très affairés, enjambant les tas, arrachaient d’une poignée la paille des bourriches, les vidaient, les jetaient, vivement ; et, sur les larges mannes rondes, en un seul coup de main, ils distribuaient les lots, leur donnaient une tournure avantageuse. Quand les mannes s’étalèrent, Florent put croire qu’un banc de poissons venait d’échouer là, sur ce trottoir, râlant encore, avec les nacres roses, les coraux saignants, les perles laiteuses, toutes les moires et toutes les pâleurs glauques de l’océan.

Pêle-mêle, au hasard du coup de filet, les algues profondes, où dort la vie mystérieuse des grandes eaux, avaient tout livré : les cabillauds, les aigrefins, les carrelets, les plies, les limandes, bêtes communes, d’un gris sale, aux taches blanchâtres ; les congres, ces grosses couleuvres d’un bleu de vase, aux minces yeux noirs, si gluantes qu’elles semblent ramper, vivantes encore ; les raies élargies, à ventre pâle bordé de rouge tendre, dont les dos superbes, allongeant les nœuds saillants de l’échine, se marbrent, jusqu’aux baleines tendues des nageoires, de plaques de cinabre coupées par des zébrures de bronze florentin, d’une bigarrure assombrie de crapaud et de fleur malsaine ; les chiens de mer, horribles, avec leurs têtes rondes, leurs bouches largement fendues d’idoles chinoises, leurs courtes ailes de chauves-souris charnues, monstres qui doivent garder de leurs abois les trésors des grottes marines. Puis, venaient les beaux poissons, isolés, un sur chaque plateau d’osier : les saumons, d’argent guilloché, dont chaque écaille semble un coup de burin dans le poli du métal, les mulets, d’écailles plus fortes, de ciselures plus grossières ; les grands turbots, les grandes barbues, d’un grain serré et blanc comme du lait caillé ; les thons, lisses et vernis, pareils à des sacs de cuir noirâtre ; les bars arrondis, ouvrant une bouche énorme, faisant songer à quelque âme trop grosse, rendue à pleine gorge, dans la stupéfaction de l’agonie. Et, de toutes parts, les soles, par paires, grises ou blondes, pullulaient ; les équilles minces, raidies, ressemblaient à des rognures d’étain ; les harengs, légèrement tordus, montraient tous, sur leurs robes lamées, la meurtrissure de leurs ouïes saignantes ; les dorades grasses se teintaient d’une pointe de carmin, tandis que les maquereaux, dorés, le dos strié de brunissures verdâtres, faisaient luire la nacre changeante de leurs flancs, et que les grondins roses, à ventres blancs, les têtes rangées au centre des mannes, les queues rayonnantes, épanouissaient d’étranges floraisons, panachées de blanc de perle et de vermillon vif. Il y avait encore des rougets de roche, à la chair exquise, du rouge enluminé des cyprins, des caisses de merlans aux reflets d’opale, des paniers d’éperlans, de petits paniers propres, jolis comme des paniers de fraises, qui laissaient échapper une odeur puissante de violette. Cependant, les crevettes roses, les crevettes grises, dans des bourriches, mettaient, au milieu de la douceur effacée de leurs tas, les imperceptibles boutons de jais de leurs milliers d’yeux ; les langoustes épineuses, les homards tigrés de noir, vivants encore, se traînant sur leurs pattes cassées, craquaient.

Florent écoutait mal les explications de monsieur Verlaque. Une barre de soleil, tombant du haut vitrage de la rue couverte, vint allumer ces couleurs précieuses, lavées et attendries par la vague, irisée et fondues dans les tons de chair des coquillages, l’opale des merlans, la nacre des maquereaux, l’or des rougets, la robe lamée des harengs, les grandes pièces d’argenterie des saumons. C’était comme les écrins, vidés à terre, de quelque fille des eaux, des parures inouïes et bizarres, un ruissellement, un entassement de colliers, de bracelets monstrueux, de broches gigantesques, de bijoux barbares, dont l’usage échappait. Sur le dos des raies et des chiens de mer, de grosses pierres sombres, violâtres, verdâtres, s’enchâssaient dans un métal noirci ; et les minces barres des équilles, les queues et les nageoires des éperlans, avaient des délicatesses de bijouterie fine.

Mais ce qui montait à la face de Florent, c’était un souffle frais, un vent de mer qu’il reconnaissait, amer et salé. Il se souvenait des côtes de la Guyane, des beaux temps de la traversée. Il lui semblait qu’une baie était là, quand l’eau se retire et que les algues fument au soleil ; les roches mises à nu s’essuient, le gravier exhale une haleine forte de marée. Autour de lui, le poisson, d’une grande fraîcheur, avait un bon parfum, ce parfum un peu âpre et irritant qui déprave l’appétit.

Monsieur Verlaque toussa. L’humidité le pénétrait, il se serrait plus étroitement dans son cache-nez.

– Maintenant, dit-il, nous allons passer au poisson d’eau douce.

Là, du côté du pavillon aux fruits, et le dernier vers la rue Rambuteau, le banc de la criée est entouré de deux viviers circulaires, séparés en cases distinctes par des grilles de fonte. Des robinets de cuivre, à col de cygne, jettent de minces filets d’eau. Dans chaque case, il y a des grouillements confus d’écrevisses, des nappes mouvantes de dos noirâtres de carpes, des nœuds vagues d’anguilles, sans cesse dénoués et renoués. Monsieur Verlaque fut repris d’une toux opiniâtre. L’humidité était plus fade, une odeur molle de rivière, d’eau tiède endormie sur le sable.

L’arrivage des écrevisses d’Allemagne, en boîtes et en paniers, était très fort ce matin-là. Les poissons blancs de Hollande et d’Angleterre encombraient aussi le marché. On déballait les carpes du Rhin, mordorées, si belles avec leurs roussissures métalliques, et dont les plaques d’écailles ressemblent à des émaux cloisonnés et bronzés ; les grands brochets, allongeant leurs becs féroces, brigands des eaux, rudes, d’un gris de fer ; les tanches, sombres et magnifiques, pareilles à du cuivre rouge taché de vert-de-gris. Au milieu de ces dorures sévères, les mannes de goujons et de perches, les lots de truites, les tas d’ablettes communes, de poissons plats pêchés à l’épervier, prenaient des blancheurs vives, des échines bleuâtres d’acier peu à peu amollies dans la douceur transparente des ventres ; et de gros barbillons, d’un blanc de neige, étaient la note aiguë de lumière de cette colossale nature morte. Doucement, dans les viviers, on versait des sacs de jeunes carpes ; les carpes tournaient sur elles-mêmes, restaient un instant à plat, puis filaient, se perdaient. Des paniers de petites anguilles se vidaient d’un bloc, tombaient au fond des cases comme un seul nœud de serpents ; tandis que les grosses, celles qui avaient l’épaisseur d’un bras d’enfant, levant la tête, se glissaient d’elles-mêmes sous l’eau, du jet souple des couleuvres qui se cachent dans un buisson. Et couchés sur l’osier sali des mannes, des poissons dont le râle durait depuis le matin achevaient longuement de mourir, au milieu du tapage des criées ; ils ouvraient la bouche, les flancs serrés, comme pour boire l’humidité de l’air, et ces hoquets silencieux, toutes les trois secondes, bâillaient démesurément.”

Zola : le Ventre de Paris, chapitre III

Les Halles, Paris et la charcuterie du “Ventre de Paris” de Zola

Publicité et aménagement d’une boutique à Paris dans la seconde moitié du XIXème siècle

La publicité et la boutique

La nouvelle charcuterie QUENU-GRADELLE présentée par Zola dans « Le ventre de Paris », quartier des Halles.
L’architecte Victor Baltard remporte le concours lancé par la « commission des Halles » qui projette d’édifier douze pavillons couverts de vitrage avec des parois en verre et des colonnettes en fonte. Dix pavillons sont construits entre 1852 et 1872.
C’est le décor que choisit Zola pour son roman « le Ventre de Paris » ; on y trouve outre une description extraordinaire du monde des Halles, la présentation de la charcuterie Quenu-Gradelle qui rassemble les derniers raffinements en matière d’aménagement de lieu de vente.

halles

Les Halles de Paris par Baltard (source Wikipédia)

« Elle faisait presque le coin de la rue Pirouette. Elle était une joie pour le regard. Elle riait, toute claire, avec des pointes de couleurs vives qui chantaient au milieu de la blancheur de ses marbres. L’enseigne, ou le nom de QUENU-GRADELLE luisait en grosses lettres d’or, dans un encadrement de branches et de feuilles, dessine sur un fond tendre, était faite d’une peinture recouverte d’une glace. Les deux panneaux latéraux de la devanture, également peints et sous verre, représentaient de petits Amours joufflus, jouant au milieu de
hures, de côtelettes de porc, de guirlandes de saucisses; et ces natures mortes, ornées d’enroulements et de rosaces, avaient une telle tendresse d’aquarelle, que les viandes crues y prenaient des tons roses de confitures. Puis, dans ce cadre aimable, l’étalage montait. Il était pose sur un lit de fines rognures de papier bleu; par endroits, des feuilles de fougère, délicatement rangées, changeaient certaines assiettes en bouquets entoures de verdure.

C’était un monde de bonnes choses, de choses fondantes, de choses grasses. D’abord, tout en bas, contre la glace, il y avait une rangée de pots de rillettes, entremêles de pots de moutarde. Les jambonneaux désossés venaient au-dessus, avec leur bonne figure ronde, jaune de chapelure, leur manche termine par un pompon vert. Ensuite arrivaient les grands plats: les langues fourrées de Strasbourg, rouges et vernies, saignantes a cote de la pâleur des saucisses et des pieds de cochon ; les boudins, noirs, roules comme des couleuvres bonnes filles; les andouilles, empilées deux a deux, crevant de sante; les saucissons, pareils a des échines de chantre, dans leurs chapes d’argent; les pâtés, tout chauds, portant les petits drapeaux de leurs étiquettes; les gros jambons, les grosses pièces de veau et de porc, glacées, et dont la gelée avait des limpidités de sucre candi. Il y avait encore de larges terrines au fond desquelles dormaient des viandes et des hachis, dans des lacs de graisse figée Entre les assiettes, entre les plats, sur le lit de rognures bleues, se trouvaient jetés des bocaux d’achards, de coulis, de truffes conservées, des terrines de foies gras, des boites moirées de thon et de sardines. Une caisse de fromages laiteux, et une autre caisse, pleine d’escargots bourres de beurre persille, étaient posées aux deux coins, négligemment Enfin, tout en haut, tombant d’une barre a dents de loup, des colliers de saucisses, de saucissons, de cervelas, pendaient, symétriques, semblables a des cordons et a des glands de tentures riches; tandis que, derrière, des lambeaux de crépine mettaient leur dentelle, leur fond de guipure blanche et charnue. Et la, sur le dernier gradin de cette chapelle du ventre, au milieu des bouts de la crépine, entre
deux bouquets de glaïeuls pourpres, le reposoir se couronnait d’un aquarium carre, garni de rocailles, ou deux poissons rouges nageaient, continuellement.

Florent sentit un frisson a fleur de peau; et il aperçut une femme, sur le seuil de la boutique, dans le soleil. Elle mettait un bonheur de plus, une plénitude solide et heureuse, au milieu de toutes ces gaietés grasses. C’était une belle femme. Elle tenait la largeur de la porte, point trop-grosse pourtant, forte de la gorge, dans la maturité de la trentaine. Elle venait de se lever, et déjà ses cheveux, lisses, colles et comme vernis, lui descendaient en petits bandeaux plats sur les tempes. Cela la rendait très-propre. Sa chair paisible, avait cette blancheur transparente, celle peau fine et enrobée des personnes qui vivent d’ordinaire dans les graisses et les viandes crues. Elle était sérieuse plutôt, très-calme et très-lente, s’égayant du regard, les lèvres graves. Son col de linge empesé bridant sur son cou, ses manches blanches qui lui montaient jusqu’aux coudes, son tablier blanc cachant la pointe de ses souliers, ne laissaient voir que des bouts de la robe de cachemire noir, les épaules rondes, le corsage plein, dont le corset tendait l’étoffe, extrêmement Dans tout ce blanc, le soleil brulait. Mais, trempée de clarté, les cheveux bleus, la chair rose, les manches et la jupe éclatantes, elle ne clignait pas les paupières, elle prenait en toute tranquillité béate son bain de lumière matinale, les yeux doux, riant aux Halles débordantes Elle avait un air de grande honnêteté »

Zola : le Ventre de Paris
Source : projet Gutemberg