Publicité : Paris New-York vue en 1906

Un article de 1906 sur la publicité comparée à Paris et à New-Yok.

“Les deux méthodes : New-York et Paris

« L’habileté dit commerçant ne consiste pas en manière de publicité à amuser ou à surprendre la clientèle « qu’il recherche par la bizarrerie de ses clichés ou le bluff de ses brochures, il lui faut, au contraire, grâce à une présentation agréable et lisible, retenir et convaincre le lecteur par la logique brève et précise « d’arguments sincères: et irréfutables. »

Il fut souvent parlé à cette place de la publicité américaine et des gains appréciables que réaliseraient, en s’en inspirant, les commerçants ou industriels français.

Cependant, avant que d’engager nos compatriotes dans son application intégrale, il y a lieu de faire quelques réserves et d’insister sur les différences profondes et diverses qui apparaissent à nos yeux, si nous faisons la comparaison de ces deux pays si disparates.

Certes, les méthodes américaines employées en publicité ont droit à toute notre approbation et nous ne pouvons que souhaiter leur prompte adaptation aux moeurs commerciales françaises.

Contrairement à ce que l’on en dit, le bluff est proscrit de l’annonce américaine. « Soyez toujours au dessous de la vérité dans l’énumération des qualités de vos produits », conseillent les spécialistes des États-Unis, « employez dans la rédaction de vos textes des termes simples et convaincants mais surtout qu’ils s’appliquent à des objets ou marchandises de premier choix qui vous assureront pour l’avenir une clientèle d’élite. »

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Voilà dé sages paroles qui peuvent nous surprendre mais qui, mises en pratique, ont donné à la publicité une autorité incontestables.

Grâce à l’application de ces préceptes, elle est arrivée à produire de merveilleux résultats qui laissent bien loin derrière eux, toutes proportions gardées, le rendement des annonces françaises. 11 faut toutefois reconnaître que ces dernières furent en partie, durant de longues années l’apanage de flibustiers qui s’ingénièrent à exploiter la bonne foi de lecteurs trop confiants. Pour la publicité française, l’heure n’est pas encore venue où la totalité des journaux exigeront de leurs annonceurs des pièces établissant leur honorabilité et des garanties concernant leurs produits. Nous devons le regretter car le rendement des annonces augmenterait dans des proportions telles que le nombre des annonceurs sérieux ne serait pas longtemps à suivre !e gros de leurs prédécesseurs ; méfiant et averti, le lecteur français se montre assez fréquemment circonspect à l’égard des avantages qui lui sont offerts, ce n’est pas sans raison.

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I1 existe nombre de magazines américains où des commerçants mal notés ne pourront jamais annoncer leurs marchandises et il en découle pour ces derniers un manque de recettes appréciables qui n’est pas sans donner à réfléchir à ceux qui seraient tentés de suivre cet exemple.

Depuis de longues années, depuis même toujours, la publicité a conquis droit de cité dans la libre Amérique et, dans les bilans commerciaux, elle figure au même titre que les frais de personnel ou l’entretien du matériel. Elle est aussi l’objet de nombreuses études et le fruit d’observations psychologiques.

L’établissement d’un budget est pour le commerçant américain une chose grave et minutieuse où n’entrent pour rien le népotisme, les relations mondaines et les considérations sociales.

Il existe des règles fondamentales très précises dont le négociant ne se départira pas car il sait que les théoriciens ne les ont émises qu’après le résultat favorable d’expériences nombreuses et probantes.

Voilà, indiquée dans ses grandes lignes, la situation de la publicité en Amérique dont l’on devrait adapter les méthodes à notre vieille organisation commerciale française qui, toute défectueuse qu’elle puisse paraître, doit être avant tout respectée quant à sa base.

En économie comme en politique, il nous faut tenir compte du milieu dans lequel nous vivons et les transactions elles-mêmes sont soumises pour assurer leur bon fonctionnement, à l’influence des besoins créés par les mœurs, le climat et le régime d’un pays.

L’Amérique du Nord est une contrée neuve qui doit la spontanéité de son existence à la science et au progrès.

Dans ses centres commerciaux et industriels dont les plus importants ne sont pas même encore centenaires et que des distances énormes séparent les uns des autres, les fortunes se font et se défont avec une stupéfiante rapidité.

Basées sur la spéculation la, plupart de ses maisons réunissent sous leurs firmes des groupements d’individus.

De plus, composée des éléments les plus divers, sa population descend uniquement de gens hardis et aventureux, venus dans ce pays prodigieusement fécond pour se créer une fortune ou refaire celle qu’ils avaient perdue.

Empressés d’acquérir dans le délai le plus court, ils risquent avec audace et désinvolture les millions déjà acquis pour tenter d’obtenir des milliards.

L’Américain n’est pas comme le Français attaché à son sol, à sa patrie et nous estimons qu’il ne goûte la vie qu’en dehors de l’Amérique, cette foire gigantesque et permanente où, vu la distance du lieu où elle se tient, l’on aurait établi son camping le plus confortablement possible et, en prévision de la durée exigée par les transactions nécessaires à l’établissement d’une fortune libératrice. 11 est vrai que dans la suite l’Américain ne se retire pas, il voyage mais travaille — en dilettante, c’est vrai — mais il travaille parce que la spéculation est devenue une fonction naturelle de sa vie et parce qu’il dépense énormément. Son désir, du reste, est de pouvoir dépenser encore plus. Cependant sa valeur commerciale est indubitable, elle contient pour nous de précieux enseignements.

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L’Américain est avant tout “businessman ” parfait, raisonné, travailleur, pratique, doué d’une force de caractère peu commune.

Le premier, il a introduit dans le commerce des méthodes, des règles, des principes, l’on peut même dire qu’il l’a élevé à la hauteur d’une science dont certaines ramifications, la publicité par exemple, reposent en majeure partie sur des études approfondies de la psychologie. En un mot, il a fait pour le commerce ce qu’il a fait pour de nombreuses autres choses il a emprunté au vieux continent en modifiant, en perfectionnant, et en agrandissant. En France la publicité fut connue de longue date mais comme ces articles allemands qui, importés en Angleterre reparaissent à Berlin avec une majoration de prix et une marque anglaise, c’est avec la publicité, retour d’Amérique, qu’il faudra tenter d’améliorer notre chiffre d’affaires. Cependant, il y a lieu si l’on veut s’éviter des déceptions, de ne pas adapter sans examen, à notre système commercial tout ce qui nous vient de l’autre côté de l’Océan.

II est vrai que même en’ le voulant, l’on ne le pourrait pas car il manque à nos annonceurs les sommes fantastiques des budgets de publicité américains.

Les fortunes de notre pays bien que moins considérables que les fortunes des milliardaires yankees ont été établies à force d’économie et de prudence selon des principes immuables d’honneur et de loyauté.

II y a en France toute une aristocratie commerciale à laquelle appartiennent des chefs de maison qui, avec un soin jaloux et scrupuleux, veillent au bon renom de leur firme souvent centenaire.

Plusieurs d’entre eux auraient volontiers consenti à se soumettre aux exigences de notre époque mais ils ont tenu à fuir la promiscuité des annonciers de la première heure auxquels je faisais allusion plus haut. Us ont craint ce voisinage pour la conservation du bon renom de leur maison.

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Les inciter à faire de la publicité serait souvent prêcher des convertis qui s’abstiennent momentanément, retenus par Je fil tenu de petits préjugés.

Peu à peu la publicité s’implante dans lès mœurs commerciales françaises la quatrième page de certains journaux s’assainit, certains périodiques et certains quotidiens arrivent à atteindre des tirages dignes d’intérêts. Mais si l’Américain est enthousiaste et audacieux, le Français est raisonné et prudent, cette différence sera le mur contre lequel viendront se heurter tous ceux qui tenteront d’apporter brutalement dans nos mœurs économiques des changements profonds. Grâce à la science, à l’émulation, au progrès les temps ont marché : il nous faut marcher avec eux.

La France de 1906 avec ses nouveaux moyens de transport et de communication n’est plus la France du 18′”° siècle, elle s’est agrandie, émancipée et elle doit vivre selon son époque.

Si la production s’est accrue, les moyens d’en écouler le surplus sont créés, on doit y avoir recours. La publicité est un des principaux. Méthode nouvelle, elle créera des maisons nouvelles qui viendront annihiler les anciennes, si ces dernières se refusent à en faire usage, car il est un fait un fait indéniable c’est que, maniée avec prudence et raisonnement, appliquée selon le tempérament des gens auxquels l’on s’adresse et se Ion les milieux dans lesquels ils vivent,la publicité est un instrument puissant et profitable dont tout commerçant désireux de voir ses affaires prospérer, se devra à lui-même de faire usage.

ÉDOUARD DUPONT.”

Source : revue La Publicité moderne. Revue mensuelle, [s.n.?] (Paris), 1905-1909, Bibliothèque nationale de France, département Sciences et techniques, 4-V-6791