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Métiers sous l’ancien Régime : tailleur d’habits

Les métiers de France, tailleurs d’habit à Paris du moyen-age au XVIIIe siècle.

Vitrine de Noël - Galeries Lafayette - 13-12-2008 - 8h53
photo credit: Panoramas

Les métiers du vêtement ont formé plusieurs communautés d’ouvriers, établies dès le XIIIe siècle, d’après les spécialités de travail ou les noms des vêtements. Ce sont les conréeurs ou apprêteurs de robes, les tailleurs de robes, couturiers, doubletiers, pourpointiers, juponniers; les chaussiers ou chaussetiers, les braliers de fil, les bonnetiers et autres ouvriers en tricot; les fripiers ayant le droit de réparer et retoucher les vieux habits; enfin certains armuriers fabricants de cuissards et cottes de mailles, doublés d’étoffes et de molleton à disposer en manière d’habillement. Les conréeurs de robes ont disparu après les règlements donnés par le prévôt Jehan de Marle, en 1392, qui ouvrent notre série; ce texte est resté isolé, comme beaucoup d’autres, sans servir à une association spéciale. Le livre d’Etienne Roileau, la Taille de Paris de 1292 mentionnent accidentellement des conréeurs, en les appliquant à la préparation plutôt des cuirs que des étoffes.

Les couturiers, fréquemment cités dans les règlements et les procès, formaient une partie importante du métier, à titre d’ouvriers couseurs, le travail de la coupe étant fait par le maître tailleur; ils n’ont jamais constitué une communauté séparée, ni laissé aucune trace de règlements. Les doubletiers formaient au même titre une catégorie de valets tailleurs. Les chaussiers qui faisaient les hauts et les bas de chausses ont toujours été en dehors et ont fusionné, au XVIIe siècle, avec les drapiers. Quant aux pourpointiers confectionnant le vêtement court, à la mode au XIVe siècle, ils ont profité de leur spécialité pour s’affranchir des tailleurs dont ils étaient une fraction; mais, en somme, le métier des tailleurs domine toujours et ne perd aucun droit sur tous les genres de confections. Ils ont aussi gardé sous leur dépendance absolue le travail des couturières, comme nos grands couturiers d’aujourd’hui. C’est seulement en 1675, lorsque la mode et la toilette se sont répandues dans les diverses classes de la société, que les maîtresses couturières obtinrent d’être érigées en métier juré.

Au Livre d’Etienne Boileau, les règlements des tailleurs de robes ont dix articles. Les robes étaient alors des costumes pour hommes, variant d’étoffe et d’ornementation selon les individus, mais à peu près de la même forme ample et longue, composée de plusieurs “garnements».

La coupe est réservée aux maîtres tailleurs, la couture est faite par les valets couturiers; le métier important et distingué demande le privilège de l’exemption du guet.

De nouveaux règlements sont rendus peu de temps après Boileau, en 1294. On y trouve les noms des grands tailleurs de l’époque, celui du Roi, de la Reine, de leurs enfants, des princes, de l’évêque de Paris, etc., quatre-vingts maîtres des plus importants de la communauté. Ces articles,” comme ceux d’Etienne Boileau, sont peu étendus. Le prévôt nommera les maîtres; tout le travail se fera en vue dans l’atelier et non dans une chambre dissimulée aux regards du public. Les fripiers se borneront à réparer le vieux, les tailleurs à faire le neuf. Il y aura trois jurés établis dans des quartiers différents. Les statuts de Boileau restaient en vigueur sur les autres points.

En 1358, une réclamation émane des valets couturiers pour obtenir l’autorisation de confectionner des doublets sans avoir à passer par les maîtres tailleurs. Ils déclarent être aussi capables que les doubletiers sur la taille et la couture des doublets. On demande beaucoup, disent-ils, ce genre de vêtement; le peuple sera d’autant mieux servi, qu’il y aura augmentation du nombre d’ouvriers. Les couturiers et doubletiers faisaient encore partie des tailleurs de robes, tandis que les pourpointiers venaient d’être érigés en métier séparé depuis l’année 1323. Cette faveur ne leur fut pas accordée.

Le prévôt Jehan Bernier renouvela les statuts des tailleurs en neuf articles, par lettres du 1er décembre 1366. Il y a quatre jurés. On recherche les moyens d’éviter le tort causé au public par ignorance de coupe, la valeur de l’étoffe étant bien supérieure au prix de la façon. Pour être maître et prendre de l’ouvrage à son compte, il fallait être admis par les jurés, sauf
exception pour l’ouvrier occupé dans les maisons des seigneurs et pour la confection des vêtements d’enfants, qui n’étaient pas l’objet d’un privilège de tailleur. Selon l’usage, on livrait son étoffe au tailleur. Quand il manquait le vêtement, les jurés examinaient le défaut, et s’il provenait d’ignorance ou de négligence de sa part, le tailleur devait, en sus de l’amende, une indemnité à la personne.

Les doublets pour la vente devaient être garnis d’étoffes neuves en soie ou fil et non de laine ou d’étoupe. Sur commande, le tailleur pouvait les faire au gré de l’acheteur. La confrérie possédait une caisse de secours pour les maîtres pauvres. On accordait des dispenses de chômage pour les vêtements des princes, pour une noce, une assemblée de corps ou toute autre circonstance pressée. Ces statuts ont été confirmés pendant deux siècles avec des modifications portant seulement sur des points de détail. Plus encore que les autres, le métier de tailleur, exigeant de grands soins et des précautions minutieuses, semble préoccupé de la bonne confection et du zèle qu’il faut y apporter. La communauté, pour poursuivre ce but, ne voyait que les amendes. On  les augmente sur tous les points en 1402 et en 1467.

De 1506 à 1512, quelques contestations surgissent de la part des couturiers, ouvriers des tailleurs ; puis Henri III, par ses lettres patentes de juin 1583, renouvelle leurs statuts. Le métier y paraît avec tous ses privilèges. Il faut être reçu maître pour avoir le droit de s’occuper des habits et accoutrements d’hommes et de femmes. Si les métiers parisiens accusent tous la préoccupation de protéger leur travail et de l’interdire aux ouvriers indépendants d’une communauté, les tailleurs d’habits semblent être les plus tenaces à défendre leurs privilèges. Les tailleurs des princes attachés à leur maison doivent toujours les suivre et n’avoir ni chambres particulières, ni serviteurs, ni ateliers de maîtrise . Parmi les vêtements, le pourpoint semble avoir remplacé le doublet de 1366; on recommande les saies et casaques des gens d’armes à soigner pour la taille, la couture, l’assemblage en droit fil. L’article 29 expose l’état de la confrérie dans des termes vraiment touchants; fondée et érigée en 1402, elle est entretenue par les dons volontaires des ouvriers; sa caisse fournit d’abord les frais du culte, puis assure de grands secours aux maîtres et compagnons devenus pauvres, infirmes ou aveugles en travaillant
au métier. Les autres conditions sont les mêmes qu’auparavant, mais transcrites avec plus de détails, plus de clarté et de précision, permettant d’obtenir une exécution satisfaisante.

Quelques jours après l’enregistrement de ces statuts, les quatre jurés tailleurs obtinrent du Roi, par lettres d’octobre 1583, l’adjonction de huit bacheliers, élus dans les mêmes conditions que les jurés et destinés à les aider dans le travail des visites, très compliqué et très long depuis l’extension du métier dans tous les quartiers de Paris.

Nous avons remarqué une mesure semblable pour tous les corps de métier importants à la fin du XVIe siècle. Les tailleurs réunissaient sous leur administration presque tous les métiers du vêtement, les doubletiers, les pourpointiers et couturiers; ils commandaient sur beaucoup de points les fourreurs, les drapiers chaussetiers, les passementiers, les brodeurs; la plupart des fripiers faisaient fonctions de tailleur pour les étoffes défraîchies. C’était avant tout un travail consistant en façons particulières, variant à l’infini et exigeant des rapports continuels avec des gens de toute classe. Sans être dans les rangs de la hiérarchie ouvrière représentée par les Six Corps, ils devaient prendre une grande place parmi les métiers. Les rivalités, les empiètements, les concurrences ouvertes ou dissimulées étaient fréquentes, les distinctions subtiles. Les vêtements courts n’excédant pas les genoux appartenaient aux pourpointiers, tous les autres plus longs aux tailleurs; les chaussetiers faisaient les vêtements pour les jambes, comme nos culottiers. Avec les différences des modes, on conçoit qu’il était difficile de s’entendre. De plus, il n’y avait pas de métier spécial autorisé pour la toilette des femmes, qui appartenait à
la communauté des tailleurs.

La tendance à se grouper entre métiers semblables se montrait alors avec autant d’intérêt qu’on en avait mis, au moyen âge, à se diviser. Les deux communautés rivales des tailleurs et des pourpointiers tombèrent d’accord et formèrent une liste unique de tous leurs maîtres interdisant, par arrêt du Parlement du 7 septembre 1658, l’entrée dans le métier à tout étranger. L’union fut sanctionnée par un texte de statuts rendu en mai 1660, où le métier élargi et mieux constitué s’établit définitivement. Les tailleurs pourpointiers y affirment pour eux seuls le privilège de faire des habits d’hommes, femmes et enfants, à mesure et sans mesure, avec tous les enjolivements, suivant les termes des statuts de 1583.

Ils font les habits de ballet et de tragédie, les costumes de théâtre et des perfectionnements de toilette, tels que bourrelets, vertugadins, emboutissures. On parle des couturières déjà fort nombreuses dans le métier; il est question de maîtres et maîtresses, ce qui indique l’accession des femmes à la maîtrise. Les ouvriers non reçus dans le métier sont nommés chambrelans.

On employait des toiles cirées et autres étoffes pour doubler et protéger les habits. Mêmes peines pour les vêtements gâchés que pour l’exclusion des tailleurs particuliers des princes.  La question de la jurande devient de plus en plus lourde et embrouillée. Un grand garde était élu tous les deux ans pour représenter le métier. Le refus des jurés et maîtres de con-
frérie les rendait passibles d’une amende de 500 livres. Les quatre jurés sont assistés des anciens ayant passé par les charges et de huit bacheliers; on y ajoute encore les seize nouveaux élus par 120 maîtres pris en nombre égal dans les trois classes des anciens, modernes et jeunes.
Les maîtres s’élevant à 1,600, il eût été impossible, vu ce grand nombre, d’aboutir utilement à une élection. La confrérie dédiée à la sainte Trinité s’acquittait des offices et services des défunts, des secours à distribuer aux infirmes; les cotisations étaient de 30 sols pour les maîtres et de 15 pour les compagnons. Les lettres patentes constatent que les deux métiers ont rédigé ces statuts pour se réunir et éviter désormais les frais des contestations fréquentes.

Les offices furent unis à la communauté, les jurés pour 70,000 livres et, en 1745, les inspecteurs des jurés pour 120,000 livres. A la réorganisation de 1776, ils formèrent une communauté avec les fripiers d’habits et de vêtements, la maîtrise commune étant de 400 livres. Des statuts furent passés en 1784.

Les derniers actes sont des contestations sans fin de la part des passementiers à propos des boutons de drap et d’étoffes, à la main ou au métier, qui ont abouti à des désagréments parfois grotesques dont le public faisait les frais. Ils s’arrogeaient le droit de saisir les boutons, même sur les passants. Les bonnetiers, les boursiers de cuir et surtout les fripiers soutinrent aussi de multiples réclamations.

Les statuts des tailleurs d’habits ont été publiés en 1723, 1742 et 1763. Paris, Knapen, in-12.

Source :

Les métiers et corporations de la ville de Paris : XIVe-XVIIIe siècles. T3 / par René de Lespinasse,… , Imprimerie nationale (Paris),1886-1897