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Feuilleton de l’été : manuel de publicité pratique en 1922 – VIII

« Vers la pratique de la Publicité

Le plus grand des écueils que rencontre de nos jours l’utilisation normale et habituelle de la publicité pour favoriser l’essor du commerce et de l’industrie, n’est devenu sensible que depuis qu’elle a commencé à être pratiquée en France avec quelque ampleur.

La logique simpliste de nos aïeux voulait qu’à bon vin il ne fût pas besoin d’enseigne, et, se retranchant derrière ce dicton d’autrefois, le commerce, l’industrie honnêtes de notre pays ont
boudé la publicité pendant cinquante ans au moins.

Aussi, lorsque la presse sortit des limbes et tendit à devenir la puissance colossale qu’elle est aujourd’hui; dès que l’affiche cessa d’être soumise au contrôle des autorités, aussitôt que l’imprimerie obtint la liberté qu’elle a à présent, la publicité apparut, aux yeux de quelques audacieux, comme un pays vierge dont la prospection promettait les plus larges richesses. Ce fut une fièvre, comparable a la fièvre de l’or qui s’empara de tous les déchets sociaux lors de la découverte des placers de la Californie. Et c’était bien vraiment la fièvre de l?or, avec cette différence qu’il ne s’agissait plus d’aller chercher le prestigieux métal. aux profondeurs de la terre et des roches, mais de le faire affluer sans bouger de chez soi, en usant de cet outil nouveau qu’était la publicité, — maniée un peu, à la vérité, comme une escopette.

Quand les colonnes des journaux s’ouvrirent toutes larges à la publicité, les commerçants et les industriels recommandables par leur passé, par leur production, n’en voulurent point user et ils laissèrent exploiter cette glèbe si fertile par les rebuts de tous les peuples, qui se sont également rués sur les terrains aurifères de l’Amérique à peu près à la même époque.

Les exploitations les plus éhontées, les opérations les plus louches envahirent la publicité, comme un pays conquis, et firent de ce merveilleux levier d’activité commerciale quelque chose comme un miroir à circonvenir les alouettes, — qui affluaient, du reste, toutes rôties ! Le plus honnête des moyens de prospérité économique fut faussé à son origine, pour devenir simplement l’instrument des plus détestables causes.

Si l’élite dé nos commerçants, de nos industriels, s’en était saisie dès qu’il fut créé, cet avatar lui aurait été épargné. La réputation de la publicité serait restée indemne. Car, que demandaient les journaux, lorsque, sous le flot montant de la démocratie, les exigences de l’information, de la vulgarisation des faits et des idées les obligèrent à abaisser le prix de leurs abonnements et de leurs exemplaires? Des ressources capables dé compenser, dans une mesure utile, les sacrifices qu’ils con-
sentaient au public et à l’information politique, intellectuelle et sociale des masses. Si ces ressources s’étaient présentées à eux probes et nettes, ils les auraient acceptées de préférence aux subsides malpropres qu’ils durent accepter, faute de mieux.

La publicité pàtit encore aujourd’hui de ces débuts malheureux, car, pendant longtemps, les affaires correctes se tinrent éloignées d’elle, pour éviter, à la dernière page des journaux, et même aux pages précédentes, des promiscuités qu’on-pouvait estimer compromettantes. La situation s’est toutefois heureuse- ment modifiée, depuis quelques années, et nous ne désespérons pas de voir un jour ces écuries d’Augias complètement nettoyées.

Ce sera lorsque les journaux ou les Annonceurs honnêtes sauront mieux apprécier le rôle commercial de la publicité.

L’atmosphère de la publicité commençant à être un peu plus respirable, il est admissible d’en parler maintenant comme d’une branche normale des connaissances générales indispensables à qui veut faire du négoce, traiter des affaires et, surtout, AMPLIFIER SON CHAMP D’ACTION.

Mais de ce que, à son origine, la publicité fut exploitée par des hommes d’une moralité douteuse, il est encore resté, contre elle, dans la pensée de quelques-uns, une prévention qu’il convient de dissiper. Il faut cependant reconnaître que le mauvais usage qui en fut fait trop souvent, a eu un retentissement fâcheux sur le coût de la publicité. Ceux qui la véhiculaient dans ses différents modes ont été tentés, jusqu’ici, de la considérer comme un jeu et les Annonceurs comme des joueurs, des spéculateurs, et ils l’ont traitée comme le gouvernement traite es paris aux courses et la cagnotte des grands cercles, en la frappant de dîmes lourdes qui en ont haussé le prix à un taux
malheureusement inaccessible pour certaines entreprises, dont le tantième bénéficiaire est trop faible pour assumer les dépenses qu’elle entraîne actuellement.

Voilà pourquoi, la bonne, la solide, la probe publicité s’étant trop souvent tenue à l’écart des colonnes des journaux, ceux-ci n’avaient plus le choix., et c’est bien pourquoi ils n’ont jamais
hésité à rançonner — le mot n’est pas trop dur — ceux qui voulaient profiter du pavillon qu’ils leur prêtaient. Cependant, cette clientèle tarée n’était pas encore suffisante pour alimenter les
journaux d’annonces productives, — productives pour les journaux. Devant l’apathie, le dédain que montraient les commerçants français pour la publicité, les journaux, surtout avant la la guerre de 1914-1918,ont cherché à l’étranger des Annonceurs; on les leur a signalés, et c’est ainsi que la presse française a compté parfois plus d’annonces de pays exotiques que d’annonces
vantant des produits nationaux.

Veut-on savoir pourquoi et comment ? C’est bien simple. Pour accroître leurs recettes du produit de la publicité que feraient chez nous des entreprises, des marques étrangères, les journaux n’ont pas craint de consentir, aux Annonceurs de tous les pays du monde, à l’exception des Annonceurs français, des prix, des tarifs spéciaux. Si bien qu’avant la guerre la publicité, dans les journaux français, coûtait moins cher à un Annonceur belge, anglais, allemand, canadien, américain qu’à un Annonceur français !

Voilà où nous a conduits l’indifférence des Annonceurs français à l’égard de la publicité. A présent, ils se plaignent de l’envahissement du marché national par toutes sortes d’affaires exotiques, faisant de la publicité, et qui, par ce moyen, viennent ruiner nos propres entreprises. On a le droit de se demander comment nos industriels, nos commerçants peuvent avoir le front de récriminer. N’est-ce pas eux qui ont laissé, à tous les étrangers qui couvrent notre pays de leurs produits, de leurs
marques, le champ de la publicité absolument libre, EN N’EN FAISANT PAS EUX-MÊMES ?

Ces constatations sont peut-être inutiles. Nous ne pouvions pas, cependant, dans un livre écrit pour des Français, les passer sous silence.

La prudence, dans les conditions de cherté qui .sont: celles de la publicité française, s’impose à l’Annonceur débutant, et nous – ne lui conseillerons jamais d’entrer de plain-pied, à l’aveuglette,
dans la voie de la publicité et de lui vouer, du premier coup, la totalité de ses capacités financières. Que ce soit la publicité suggestive, ou bien la publicité obsédante qu’il pratique, c’est par des essais circonspects, des coups de sonde lancés à propos, qu’il découvrira la meilleure formule, et qu’il prendra, dès ce moment, confiance dans l’instrument mis entre ses mains.

Lorsqu’un cultivateur croit avoir trouvé une espèce de pommes de. terre d’une fécondité supérieure à celle de l’espèce qu’il plante ordinairement, que fera-t-il ? Il continuera la culture des sortes dont il avait de bons résultats jusqu’alors, mais il réservera, pour expérimenter sa nouvelle espèce, une partie restreinte de son champ en la choisissant de manière qu’elle remplisse les conditions d’exposition, de terrain, d’irrigation qui sont celles de l’ensemble de sa culture. Il y fera germer sa nouvelle espèce de tubercules et il attendra la récolte, en en observant le développement, — ses
anciens plants lui servant de témoins, de points de comparaison. Après la maturité des deux sortes, il pourra former son jugement et décider s’il substituera, dans son exploitation, la nouvelle espèce à l’ancienne.

Ce principe d’agriculture est applicable à la publicité pour fixer, précisément, ce potentiel d’intérêt qui est, pour l’Annonceur, ce que le manomètre est pour le mécanicien, et aussi pour connaître l’importance exacte de la majorité relative sur laquelle il pourra tabler.

Pour l’Annonceur qui opère par le procédé de la première période (suggestive, directe, à effet immédiat), le calcul est simple à faire. Les résultats de sa première publicité lui feront
connaître, en quelques jours, si sa manière est la bonne, si le mode qu’il a adopté convient au genre d’affaires qu’il traite. Le problème est plus difficile et plus long à résoudre pour l’Annonceur qui pratiquera le procédé de la deuxième période (obsédante, indirecte et à effet différé). Le témoin, le point de comparaison, sera, pour lui, le chiffre d’affaires qu’il faisait avant l’emploi de la publicité. 11 se peut encore que l’entreprise pour laquelle la publicité est requise soit une entreprise toute nouvelle. Dans ce cas, le point de comparaison manque absolument. La rapidité des résultats qu’on est en droit d’attendre de l’emploi de la publicité dépend essentiellement de l’article dont il s’agit et de l’habileté avec laquelle la publicité est pratiquée. Mais, d’une manière générale, un Annonceur doit ne pas être trop impatient de récolter, sachant qu’il faut auparavant un temps suffisant pour préparer le terrain, pour semer et pour que la maturité se produise, et qu’une marque de consommation, une fois qu’elle s’est attaché une clientèle, vaut souvent mieux qu’une ferme en Beauce.

Il est cependant logique d’espérer pouvoir, par la publicité, satisfaire un besoin soudain, et presque général. Nous n’en saurions donner de meilleur exemple que celui-ci. Supposons que le gouvernement, par une loi ou un décret, décide, un beau jour, que tous les propriétaires de chiens devront faire porter à ces animaux un collier de forme spéciale, portant un numéro inscrit sur le registre matricule des chiens, ainsi que cela se fait en Belgique.

Aussitôt, un ingénieux fabricant de bourrellerie a l’idée de créer un collier conforme au modèle prescrit et emploie la publicité pour lancer cet article. La loi est formelle, elle est impérieuse, il faut que, dans un délai assez court, chaque propriétaire de chiens réponde à son ordre. Ce fabricant vendra très rapidement un grand nombre de ses colliers officiels. Mais le jour viendra où sa vente baissera, en dépit de la publicité soutenue qu’il fera. Il s’en alarmera et se creusera la tête pour
deviner la cause de cette diminution de son chiffre d’affaires.

S’il n’est point sot, il comprendra qu’il a vendu, à. ce moment, un nombre si grand de ses colliers, que tous les acheteurs possibles en ont fait l’acquisition; que, d’autre part, des concurrents
lui sont venus sur le tard et lui ont enlevé une partie de sa clientèle, étant donné qu’on ne renouvelle pas le collier de son chien comme on change soi-même de faux-col; et, alors, sagement, il
cessera d’annoncer, car il n’a plus rien à attendre de son article. Mais s’il est d’esprit borné, s’il est entêté, il voudra persister, et, pour cela, il « forcera » la publicité : à ses annonces modestes il substituera de grandes annonces ; il amplifiera son affichage en dimension et en fréquence. Mais rien n’y fera. Le règne de son collier sera terminé, et il en arrivera à dépenser en publicité
inutile et inefficace le capital qu’il aura constitué au début de son entreprise.^Le potentiel d’intérêt qu’il avait trouvé tout d’abord se sera affaibli au point qu’il n’existera plus qu’une minorité
infime de gens pour acheter son article.

Ce sont là des cas fortuits et assez rares. Ce sont même des exceptions, — exceptions sans doute heureuses, mais dont seuls quelques Annonceurs peuvent profiter.

Pour reprendre l’examen des conditions dans lesquelles on doit organiser une publicité quelconque, nous compléterons par quelques indications utiles l’exposé des principes généraux qui
guident un Annonceur dans la pratique de la publicité. »

Pourquoi la vache qui rit rit ?
photo credit: Ludo29880

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Source

Titre : Traité pratique de publicité commerciale et industrielle. Le mécanisme de la publicité avec diverses applications / D. C. A. Hémet,… ; avec une préface de Emile Gautier

Auteur : Hemet, D.C.A (1866-1916)

Éditeur : “la Publicité” (Paris)

Date d’édition : 1922

Contributeur : Gautier, Émile (1852-1937). Préfacier

Contributeur : Angé, Louis. Éditeur scientifique

Type : monographie imprimée

Langue : Français

Format : 2 t. en 1 vol. (XXIX-250, 298 p.) : ill. ; in-8

Feuilleton de l’été : manuel de publicité 1922 -VII-

LE POTENTIEL D’INTÉRÊT OU POTENTIEL DE RÉCEPTIVITÉ

“L’Annonceur débutant aura donc pour premier soin de fixer dans quelles mesures la chose qu’il s’apprête à annoncer suscitera l’intérêt des acheteurs qu’il veut atteindre, et quelle est l’urgence du besoin de cette chose qu’ils peuvent ressentir. Il établira ainsi ce que nous appellerons le potentiel d’intérêt ou de réceptivité, de sa publicité, par rapport à la majorité relative de lecteurs qui seront touchés par elle. Les méthodes d’observation et de déduction dont nous avons déjà parlé lui seront,
dans cette occurrence, d’un très utile secours.

Voilà donc la question dégagée de ses obscurités. Nous apercevons maintenant tous les phénomènes de la publicité régis par deux influences qui participent, pour une somme égale, à leurs diverses modalités : d’une part, l’intensité de l’intérêt offert par la chose annoncée; d’autre part, l’importance
de la majorité relative d’individus susceptibles d’un intérêt plus ou moins grand pour cette même chose.
Donnons des exemples :

Supposons un industriel propriétaire d’une marque de cirage d’une qualité incontestable. Le potentiel d’intérêt que possédera sa publicité sera faible, car .il n’est pas seul à vendre du cirage
de bonne qualité, et à faire de la publicité pour une marque de cette nature. Par contre, la majorité relative d’individus susceptibles d’intérêt est considérable, puisque le cirage est un produit d’entretien d’un usage presque général. Cet industriel organisera, donc sa publicité par fortes masses, au moyen de l’annonce, de l’affiche, mais sans négliger d’organiser en même
temps la vente de son produit. Il fera alors de la publicité obsédante, indirecte, à effet différé.

Prenons maintenant un pharmacien préparateur d’une spécialité pharmaceutique destinée à guérir les nez rouges. Etant donné qu’il sera sans doute presque seul à préconiser un médicament de ce genre, le potentiel d’intérêt contenu dans sa publicité sera élevé. Mais comme le nombre des individus ayant le nez rouge et désirant en modifier la couleur est peu considérable, la majorité relative de gens disposés à porter intérêt à son remède sera faible. Ce pharmacien devra organiser sa publicité par petits espaces, en pratiquant seulement le système de publicité de la première période (suggestive, directe et à effet immédiat).

Un troisième cas-type est fréquent, c’est celui où l’Annonceur peut balancer entre les deux périodes à adopter. Supposons un médecin qui a découvert un merveilleux produit pour la guérison de la tuberculose. Celui-là peut, à son gré, faire sa publicité sous la forme suggestive, directe et à effet immédiat, ou sous la forme de la publicité obsédante, indirecte et à effet différé. Sous la première forme, sa publicité devra avoir pour but de le mettre en relations directes avec des malades, qu’il traitera à son cabinet et par correspondance, au moyen du remède qu’il aura découvert et qu’il prescrira. Ce sera le procédé à suivre si l’on ne dispose pas de capitaux importants.

Pour ce médecin, s’il choisit la forme de publicité spéciale à la première période, le potentiel d’intérêt sera élevé, car les communications qu’il fera au public frapperont celui-ci très vivement, à cause de la qualité, de la nouveauté du médicament et de la tournure évidemment très persuasive qu’il devra donner à sa publicité. Par contre, la majorité relative des individus qui se révéleront, à la lecture de ses annonces ou de ses articles, ne sera pas très considérable, car il faudra lui écrire, correspondre régulièrement avec lui, et beaucoup de ceux qui seraient allés chez leur pharmacien pour se procurer le remède ne consentiront pas à mettre la main à la plume, soit qu’ils redoutent de
s’adresser à un charlatan, soit qu’au moment où la publicité se manifestera ils reçoivent déjà les soins d’un autre médecin, soit encore qu’ils craignent d’avoir à supporter des dépenses impossibles pour leurs ressources.

Mais si ce médecin a à sa disposition des capitaux importants et qu’il veuille généraliser la vente de son médicament en faisant une spécialité pharmaceutique, il aura recours à la forme de publicité de la deuxième période et il l’organisera de manière à mettre son produit en vente dans toutes les pharmacies — ou, du moins, dans les principales — et il aura recours à la publicité obsédante, indirecte et à effet différé.

La première manière lui aurait permis de récupérer très rapidement ses débours et lui aurait donné très rapidement aussi des bénéfices ; la seconde manière exigera de lui plus de patience et d’argent, car le résultat se fera attendre un an, deux ans et même plus, selon l’intensité et, surtout, selon la valeur suggestive et obsédante de sa publicité.

En tout cas, avec la seconde manière, le potentiel d’intérêt sera moyen, car il entrera en lutte avec d’autres produits ayant ou s’attribuant les mêmes vertus que le sien, ce qui neutralisera l’action exercée sur un certain nombre de lecteurs ; par contre la majorité relative d’individus qu’il touchera sera élevée puisqu’il s’adressera à tous les tuberculeux ou, du moins, à tous les tuberculeux qui seront à même de lire ses annonces.
Mais, s’il choisit la seconde période, l’Annonceur devra, parallèlement à son action publicité, organiser son action vente, tout comme pour un cirage ou un chocolat. Toute la différence, c’est que le cirage et le chocolat sont vendus par l’épicier, tandis que les produits pharmaceutiques sont vendus par les pharmaciens.

Cette question du potentiel d’intérêt et des majorités relatives n’a pas été sans frapper les Américains, dont nous avons certainement beaucoup à apprendre, en ces matières. Ils. l’ont
résolue par deux formules concrètes que voici :

– Ne prenez pas un marteau-pilon pour écraser une mouche. (Potentiel d’intérêt élevé, mais majorité relative faible.)

– On ne tue pas un éléphant avec un pistolet à bouchon. (Potentiel d’intérêt faible, mais majorité relative élevée.)”


photo credit: Ludo29880

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Source

Source

Titre : Traité pratique de publicité commerciale et industrielle. Le mécanisme de la publicité avec diverses applications / D. C. A. Hémet,… ; avec une préface de Emile Gautier

Auteur : Hemet, D.C.A (1866-1916)

Éditeur : « la Publicité » (Paris)

Date d’édition : 1922

Contributeur : Gautier, Émile (1852-1937). Préfacier

Contributeur : Angé, Louis. Éditeur scientifique

Type : monographie imprimée

Langue : Français

Format : 2 t. en 1 vol. (XXIX-250, 298 p.) : ill. ; in-8

Suite feuilleton de l’été : manuel pratique de publicité en 1922

« Les deux périodes de la Publicité

PREMIÈRE PERIODE

C’est la forme de la publicité qui suggère instantanément. Elle agit, dans ce cas, directement sur l’acheteur, et directement de l’acheteur au vendeur, autrement dit, à l’Annonceur, sans relais, sans intermédiaires et son action est immédiate.

Nous l’appellerons : Publicité suggestive et directe à effet immédiat.

Dans ce cas, l’acte déterminatif et terminatif, l’acte d’achat par conséquent, se produit dès la publicité vue et lue. C’est le propre de la publicité écrite, lorsqu’elle est conçue en vue de déterminer l’acte d’achat à distance, par correspondance. C’est la base même de toutes les entreprises qui se livrent à la vente par la poste, ce que les Américains nomment « Selling by Mail », ou bien encore « Mail order Business », et que nous pouvons appeler vente par correspondance.

C’est aussi la route la plus courte, mais par laquelle on ne franchira qu’une distance restreinte, car elle se perd, à un certain endroit, après s’être rétrécie au point de ne plus être qu’un sentier.

Expliquons-nous : l’Annonceur qui se livrera à la venté par correspondance et qui utilisera, pour ce but, la publicité, doit provoquer, à chacune dés manifestations qu’il en fera, un sentiment de curiosité, d’abord, d’intérêt ensuite, pour obliger l’acheteur possible à se révéler. Non pas qu’il ait oblitéré chez celui-ci les facultés d’appréciation ou que son libre arbitre soit suspendu, mais simplement parce qu’au moment où la chose sera annoncée, une quantité x de personnes seront en disposition de s’y intéresser. C’est par la force des expressions, la précision des descriptions et l’allure éminemment persuasive de la publicité qu’un tel résultat pourra être atteint.

Cette forme de publicité — suggestive et directe — offre l’énorme avantage d’une action très rapide, et c’est pourquoi, nous l’appelons « à effet immédiat ».

C’est, malheureusement, celle dont le rayonnement est le plus faible. Il faut, sous cette forme et dans cette période, que les effets soient véritablement instantanés, car elle ne s’accommode pas de plans longuement concertés et dont le résultat sera attendu pendant des temps indéterminés. Il faut qu’elle se suffise à elle-même, en ce qui concerne les dépenses comparées avec les recettes, dans un délai très rapide. C’est, en quelque sorte, une publicité à éclipse, et qui n’a pas à compter avec le
temps. Nous comparerons volontiers cette publicité à un feu d’artifice. Quand on tire le feu d’artifice, on est sûr de le faire admirer par un public plus ou moins nombreux, mais qui est,
essentiellement, le public de ce jour-là, ou, plutôt, de ce soir-là. Il ne saurait venir à l’idée du pyrotechnicien d’en tirer un semblable tous les huit jours, pour les mêmes habitants d’une
même ville. Ils y viendraient en nombre moins grand à chaque exhibition, et ils finiraient par n’y plus venir du tout, si bien que le feu d’artifice finirait par ne se tirer que pour les étoiles. Mais il est certain que le même feu d’artifice, tiré aujourd’hui dans une localité, avec une grande affluence de populaire, se tirerait avec un succès pareil, dans une autre ville, où l’on n’en aurait pas vu depuis quelque temps.

La publicité suggestive, directe et à effet immédiat, est ce feu d’artifice. C’est à l’Annonceur — le pyrotechnicien dans l’espèce — à le rendre si brillant, à le composer de pièces si rutilantes, si éclatantes, si originales, qu’il plaise à tous les yeux et qu’on en revienne ébloui, c’est-à-dire décidé à l’achat.

La répétition.

Aux premiers âges de la publicité, en France, on a donné corps à un principe qui passa, pendant de longues années, pour un axiome. Nous voulons parler du principe de la répétition régulière delà publicité et, plus particulièrement, des annonces. Sans doute, à l’époque où on le formula, la publicité n’avait pas encore pris place parmi les sciences commerciales et, comme l’on faisait alors fort peu de publicité, l’application de ce principe ne présentait pas les dangers qu’on doit lui reconnaître aujourd’hui. En ce temps-là, il suffisait de placer deux lignes hebdomadairement dans un quotidien répandu, pour en tirer de notables profits. On faisait donc de la publicité un peu comme un aveugle disserterait des couleurs, sans y rien connaître. Et, par conséquent, le rendement proportionnel de la publicité étant beaucoup plus élevé qu’aujourd’hui, les Annonceurs de ce temps-là trouvaient encore, dans une fréquente répétition, des bénéfices suffisants pour la justifier. Ils avaient peut-être raison pour leur temps; ils auraient complètement tort aujourd’hui : la culture
d’un terrain épuisé doit s’écarter de la routine pratiquée dans l’exploitation d’un terrain neuf.

Mais le principe est demeuré vivace, par la force de l’habitude probablement, et voici ce que nous avons lu dans un journal français :

Première annonce : le lecteur ne la voit pas.

Deuxième insertion de l’annonce : il la voit, mais il ne la lit pas.

Troisième insertion : il la lit.

Quatrième insertion : le lecteur regarde le prix de l’article.

Cinquième insertion : il prend l’adresse.

Sixième insertion : il en parle à sa femme.

Septième insertion : il se décide à l’achat.

Huitième insertion : il achète.

Neuvième insertion : il signale l’article et l’annonce à ses amis.

Dixième insertion : les amis en parlent à leurs femmes.

Onzième insertion: etc., etc.

Tout cela, pour soutenir et démontrer qu’il faut qu’une annonce ait paru au moins dix fois pour donner ses pleins effets.

De même que dix mille Anglais se sont jetés dans la Tamise pour n’avoir pas joué atout au bridge, d’innombrables Annonceurs se sont littéralement mis sur la paille pour avoir cru à cette MALFAISANTE MÉTHODE DE PUBLICITÉ. Il suffit d’en décomposer les termes pour en reconnaître la parfaite absurdité.

1° Pourquoi le lecteur ne voit-il pas l’annonce la première fois qu’elle paraît? Parce qu’il n’a pas l’habitude de la voir? Mais, au contraire, la moindre psychologie nous apprend qu’il la verra
d’autant mieux qu’il ne l’a pas encore vue, qu’il ne la connaît pas;

2° Si le lecteur n’a pas vu la première annonce, quelles raisons peut-on trouver pour qu’il la voie là seconde fois? Sait-il que c’est la seconde fois qu’elle paraît, puisqu’il ne l’a pas aperçue à sa première insertion ?

3° Pourquoi, le lecteur ayant enfin vu l’annonce, ne la lit-il pas? Sans doute parce qu’elle ne l’intéresse pas, car on lit – on parcourt au moins — toute chose susceptible d’un intérêt quelconque ;

4° Mais pourquoi le lecteur, à la troisième apparition de l’annonce, la lit-il, si elle ne l’intéresse pas ? Il ne devrait pas la lire, au contraire, puisqu’il l’a déjà vue et qu’elle n’a éveillé en . lui aucun sentiment, ni de curiosité, ni d’intérêt ;

5° Et alors, si, enfin, le lecteur indolent a consenti à lire l’annonce la troisième fois, ce qui tend à démontrer que son attention est attirée sur elle, pourquoi attend-il la quatrième insertion pour savoir quelle est la dépense qu’il devra faire pour acquérir la chose annoncée?

Nous pourrions poursuivre la tâche facile de rétorquer, les uns après les autres, ces PRINCIPES DÉRAISONNABLES, et demander pourquoi, quand le lecteur s’est décidé à acheter, il attend
l’apparition suivante de l’annonce pour faire l’emplette. Il se peut encore que ce lecteur ne soit pas marié ou qu’il soit veuf, auquel cas tout le travail de la publicité devient stérile, puisqu’il ne peut en parler à sa femme. Et si ce lecteur c’est, précisément, une femme, en parlera-t-elle à son-mari? Ce n’est pas la même chose. Et si cette femme n’est pas mariée? A qui en parlera-t-elle? A son amant? Et si elle n’en a pas, pis encore, si elle en a plusieurs ?

Nous voici en plein chaos. Mais il suffit de nous rappeler ce que nous enseigne l’étude psychologique des phénomènes de l’attention, pour nous ressaisir et pour nous trouver en état
de nier l’exactitude, même approximative, de ce principe suranné. La publicité, dans ses effets, a horreur du déjà vu, qu’il s’agisse d’annonces, d’affiches, ou de tous autres produits de l’imprimerie.”

We
photo credit: ruurmo

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Source :

Titre : Traité pratique de publicité commerciale et industrielle. Le mécanisme de la publicité avec diverses applications / D. C. A. Hémet,… ; avec une préface de Emile Gautier

Auteur : Hemet, D.C.A (1866-1916)

Éditeur : “la Publicité” (Paris)

Date d’édition : 1922

Contributeur : Gautier, Émile (1852-1937). Préfacier

Contributeur : Angé, Louis. Éditeur scientifique

Type : monographie imprimée

Langue : Français

Format : 2 t. en 1 vol. (XXIX-250, 298 p.) : ill. ; in-8

Gallica

Feuilleton de l’été : manuel de publicité des années 1920

Théorie de la Publicité

La publicité écrite, celle qui s’imprime et qu’on destine à être lue, ne comportant aucune part de suggestion directe, puisque celui, qui la fait, l’Annonceur, ne voit pas, ne connaît pas personnellement celui ou ceux qu’il vise, il ne s’ensuit pas qu’il n’existe aucune pierre de touche capable d’en faire éprouver la valeur. La meilleure est incontestablement l’observation,
indépendamment des dons de l’intelligence et de l’esprit.

Par observation, nous entendons cette faculté qu’ont les hommes, à dès degrés différents, de sentir, de deviner les aspirations et les besoins d’autrui. Cela se rapporte à la publicité-science, c’est-à-dire à l’organisation du plan directeur.

L’observation, telle que nous la voudrions voir s’affiner chez tous les Annonceurs, doit commencer par l’observation de soi-même. « Connais-toi toi-même », dit le sage. Car la connaissance de soi-même conduit tout naturellement, par comparaison, à la connaissance d’autrui, et c’est celle-là qui, dans l’occurrence, est la plus précieuse. Un Annonceur qui se sera lui-même analysé et étudié sous toutes ses faces, saura bien plus aisément analyser et étudier les autres, ceux à qui il veut vendre
la chose annoncée, et il parviendra à identifier, sa pensée, sa mentalité, à la pensée, à la mentalité du plus grand nombre. I1 se pénétrera ainsi des besoins et des goûts des majorités et pourra, dès lors, s’attacher avec plus d’adresse à lès satisfaire, en faisant abstraction complète de sa propre personnalité.
Molière, qui lisait ses comédies à sa servante, avant de les faire représenter, ne faisait pas autre chose que de l’observation. Il s’en rapportait à l’impression qu’elles produisaient sur l’âme fruste de sa domestique, parce qu’il jugeait que les sentiments de celle-ci correspondaient à ceux de la majorité de ses futurs spectateurs. Si sa servante riait, c’est que son public serait désarmé.

On a remarqué, cependant, que certains Annonceurs étaient souvent fort malhabiles à pénétrer la psychologie des majorités auxquelles leur publicité s’adresse, et il est arrivé que des personnes, qui n’étaient pas mêlées directement aux affaires d’un Annonceur, savaient mieux que lui apprécier les points faibles et les points forts de ces majorités et les faire servir à la cause de l’Annonceur. C’est pour cela qu’un spécialiste qualifié, un technicien de publicité compétent, peut rendre d’énormes
services aux Annonceurs. En Amérique, notamment, le concours d’un professionnel de ce genre est fort apprécié et largement rétribué..

C’est qu’on ne voit pas toujours soi-même de la même manière que le public, et c’est cependant une des qualités qu’un Annonceur doit posséder. Pour remédier à ce défaut, nous conseillons à l’Annonceur indécis de ne rien commencer sans avoir, comme Molière le faisait, consulté son entourage, ses amis, afin de recueillir les impressions que ses projets de publicité feront sur des personnes de condition, de mentalité et d’âge différents, et d’en tenir compté, si l’intérêt qu’ils lui
portent est le gage certain de leur sincérité. Il ne faudrait pas, toutefois, demander avis et conseils à des intellectuels manquant de sens positif, ou à des esprits aigris ou simplement chagrins, chez qui le sens critique est développé à l’extrême ; mieux vaut choisir, au contraire, des personnes d’une mentalité moyenne, de jugement sain et d’intelligence normale, sans métaphysique exagérée, c’est-à-dire des individus représentant, dans leur ensemble, en raccourci, les majorités auxquelles on
fera appel par la publicité.

Quand nous parlons des majorités susceptibles d’être touchées par la publicité, qu’on entende bien que nous ne voulons dire que les majorités relatives, très relatives même. Lés majorités relatives.

Un Annonceur, débutant dans la carrière, doit se garder soigneusement, dans le calcul du nombre d’individus du même pays, de la même langue, capables de devenir ses acheteurs, de comprendre dans le total tous ceux qui pourraient l’être. Il serait presque plus sage de supputer d’abord le nombre de ceux qui ne le seront pas, qui ne le seront peut-être jamais. Bien des déboires seraient évités par ce moyen.

Supposons que la masse des acheteurs théoriques soit évaluée à cent mille. Il faut déduire de ce chiffre :

– Ceux qui n’achèteront pas, parce qu’ils possèdent déjà un objet, un produit équivalent ou concurrent ;

– Ceux qui ne lisent pas la publicité et qu’on n’atteindra pas ;

– Ceux qui lisent la publicité, mais qui font profession de n’y ajouter aucune foi ;

– Ceux qui ne savent pas lire ;

– Ceux qui, quoique sachant lire, ne verront jamais la publicité qui s’adresse à eux, soit qu’ils ne lisent pas, précisément, le journal dans lequel cette publicité aura été insérée, ou qu’ils ne
passent jamais devant le mur où on aura fait placer une affiche, ou bien encore, ceux dont le nom et l’adresse, ne figurant sur aucun Bottin, sur aucun annuaire, sur aucun répertoire, ne pourront jamais être touchés par un imprimé.

Que reste-t-il, après cela, d’acheteurs certains? On tremble à l’idée de l’infinité de leur nombre, comparé à celui des acheteurs théoriques recensés auparavant.

C’est cependant sur la base de ce résidu, constituant le nombre éventuel d’acheteurs, que l’Annonceur doit établir tout son plan de publicité, s’il ne veut pas tomber dans des exagérations à tous points de vue décevantes, ne serait-ce qu’à propos de la fixation du prix de vente de la chose annoncée, lequel doit varier dans la mesure exacte où la publicité en modifie le prix de revient; ou bien il faudrait augmenter les prévisions de frais généraux afférents à l’affaire, deux stades, parfaitement distincts, et qui s’excluent mutuellement. Ce n’est pas sans de mûres réflexions et sans avoir expérimenté, éprouvé sa justesse que nous avançons cette théorie, et nous sommes convaincus que, les Annonceurs s’en étant pénétrés, ils auront en mains le fil d’Ariane qui les guidera sûrement dans le dédale des combinaisons auxquelles la publicité donne naissance.

On pourra opposer une période à l’autre, on ne pourra jamais les confondre, car ce sont deux routes parallèles qui ne se rencontrent jamais. L’une de ces routes est d’ailleurs bien plus courte que l’autre, en ce sens qu’elle mène moins loin.

Voyons un peu plus en détail ce que sont ces deux périodes.

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photo credit: lecourrier

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Source :

Titre : Traité pratique de publicité commerciale et industrielle. Le mécanisme de la publicité avec diverses applications / D. C. A. Hémet,… ; avec une préface de Emile Gautier

Auteur : Hemet, D.C.A (1866-1916)

Éditeur : “la Publicité” (Paris)

Date d’édition : 1922

Contributeur : Gautier, Émile (1852-1937). Préfacier

Contributeur : Angé, Louis. Éditeur scientifique

Type : monographie imprimée

Langue : Français

Format : 2 t. en 1 vol. (XXIX-250, 298 p.) : ill. ; in-8

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